Le joueur s est toujours caché. Derrière des avatars créés de toutes pièces ou des projections de ses propres fantasmes lorsqu’on lui donnait l’occasion de se construire un alter ego vidéoludique. Le joueur n’est jamais lui-même ou du moins pas tout à fait, et c’est sans doute la raison pour laquelle il joue : pour se débarrasser de ses insatisfactions, se remodeler ou rentrer dans un moule plus satisfaisant. C’est dire si, au-delà de son aspect gadget , l’EyeToy de Sony modifie sensiblement la donne. Petite caméra type webcam reliée à la PlayStation 2, elle permet au joueur d’inscrire son reflet physique dans l’écran. De le plonger directement dans le gameplay, sans accessoires, ni vecteurs, sans la présence parfois intimidante du pad. EyeToy s’intègre donc à merveille dans l’entreprise de démocratisation du jeu vidéo initiée par Sony avec la première PlayStation : toute la mécanique qui connecte le gamer à son obscur objet du désir est quasiment mise à mort. C’est à la fois fascinant et inquiétant puisqu’on perd un partie du langage propre aux jeux vidéo.

Mais pour en arriver à une telle extrémité, pour qu’EyeToy se substitue complètement au binôme classique joueur + pad, encore eut-il fallu qu’il soit vraiment convaincant -et transgenres. Heureusement, il ne l’est qu’à moitié. Car si la douzaine de mini-jeux présents sur le DVD peut faire illusion au début, on finit très vite par en mesurer les limites. Certains sont efficaces, tandis que d’autres sont assez redondants, inégaux, voire parfois totalement dénués d’intérêt. Dans leur globalité, il manquent tragiquement de substance, de quelque chose qui leur permettrait de dépasser le simple stade du plug’n’play. Et c’est indéniablement sous-estimer la philosophie arcade à laquelle EyeToy semble se destiner que de penser qu’un concept simpliste puisse se suffire à lui-même. On peut donc franchement se demander vers quel avenir EyeToy peut se tourner. Un moyen sommes toutes assez fun de faire perdre quelques kilos au hardcore-gamer avachi sur son canapé ? Un futur gadget de jeu musical, à l’instar des maracas de Samba de amigo ou du tapis de danse de Dance dance revolution ? C’est sans doute l’optique la plus probable et la plus rassurante. Sans l’indispensable notion de transfert, d’immersion indirecte et d’identification, EyeToy se coupe d’un large pan des jeux vidéo, y compris de la frange la plus commerciale et populaire initiée par Sony lui-même à travers ses propres productions. Réduit pour le moment à l’état de gadget expérimental et clo(w)nesque, condamné à un genre bien précis, EyeToy est sans doute un grand pas pour Sony, mais c’est seulement un petit pas vers une autre manière d’envisager le jeu vidéo.