Ca donne quoi un film sans personnages, sans récit, voire sans images ? Réponse le 27 février 2004 autour d’une exaltante rétrospective à la Cinémathèque des films inédits ou quasi introuvables d’un colosse toujours aussi influent : Gil J. Wolman. En complément de l’article consacré à Isidore Isou et au Lettrisme dans Chronic’art #13, en kiosque.

Dans la catégorie « vie en ébullition », l’artiste et cinéaste Wolman en ébouillanterait plus d’un ! Une biographie à la Rimbaud ou à la Cendrars, un vaste va-et-vient entre la création et l’ahurissant, façon grands écrivains US. Pêle-mêle : journaliste à Combat, membre des Jeunesses Communistes, capitaine, tricoteur, chasseur d’Afrique dans l’Allemagne occupée, trafiquant dans la casbah d’Alger, barman à Pompeï… Et deux rencontres, cruciales pour saisir ses étranges films. Avec le lettrisme d’Isou (cf. Chronic’art #13, en kiosque) et ses récitals faisant flamber le Tabou dans les années 50, puis avec Debord, qui lui dédiera son film Hurlements en faveur de Sade et avec qui il crée l’Internationale Lettriste. Wolman ou l’artiste incontournable, à la tête de multiples inventions qui n’en finissent de rebondir dans les créations actuelles : la « mégapneumie », dissociant consonnes et voyelles pour faire place à une poésie du souffle, « l’Art scotch » comme autre façon de « coller à la réalité », le cut-up littéraire bien avant Burroughs… Toute une vie à pratiquer le détournement et surtout le geste de séparation, qui résonne plus que tout dans L’Anticoncept, son film culte de 1951, vite censuré après plusieurs incidents. De quoi s’agit-il ? D’un vaste travail de sape pour évacuer de l’écran tout concept, d’où le titre. Donc pas d’images à l’écran, ou plutôt si : une image autonome, détachée de toute histoire. Juste des scintillements de lumière blanche, renvoyés par une projection sur ballon sonde, sur fond d’improvisations « mégapneumiques » : pulsions, bâillements, râles, syllabes disloquées… Impact de ce « gueuloir ontologique » : un mixte entre une angoisse étouffante et une libération spontanée, à voir au moins une fois dans sa vie de spectateur…

Film-pilier d’une programmation concoctée par Frédéric Acquaviva, compositeur et spécialiste de Wolman, et Nicole Brenez, historienne du cinéma expérimental, L’Anticoncept est une oeuvre-caméleon qui se modifie selon les conditions de projection et qui a du coup enfanté d’intimes variations (filmer les réactions d’une salle new-yorkaise devant L’Anticoncept par exemple, un envers du décor tout aussi surprenant…). Ce même film est le seul disponible en VHS aux éditions Allia, le reste est tout bonnement introuvable, raison de plus pour profiter le 27 février 2004 de la quatrième et dernière session de cette rétrospective. Pour se mettre dans le bain, trente secondes s’ouvrent sur la seule « Inter-no-view » filmée de Wolman (mésestimé durant sa vie, aujourd’hui exposé ici et là, bref la routine…). Deux « mégapneumes » suivent, histoire de vous couper le souffle en route, alternative poétique et sonore à un « tout à l’image » si habituel à notre rétine. Plus politique, le zapping télévisuel du couple Gil et Charlotte Wolman, passant en un clic de la prise de fonction mitterandienne à la présidence de 1981 à la diffusion sur une autre chaîne du Charme discret de la bourgeoisie de Buñuel. Jeux d’échos et tensions assurées. Wolman et d’autres disaient un jour que « rien ne peut dispenser la vie d’être absolument passionnante ». Une formule à suivre avec ces films et vidéos ovnis, à donner le vertige face aux pouvoirs du grand écran…

Rétrospective Gil J. Wolman
Le 27 février à la Cinémathèque des Grands Boulevards
De 19h00 à 21h30 et de 21h30 à 23h00
Répondeur : 01 56 26 01 01

A lire, en complément : un double ouvrage, Défense de mourir (Allia, 2001). A la fois abordable, bien illustré, c’est surtout une mine de documents, de textes signés Wolman, d’une interview radio décapante, des articles critiques, des bios, etc.