Directeur du Centre Dramatique National de Gennevilliers, Bernard Sobel présente actuellement La tragédie optimiste de Vichnievsky (photo), spectacle qui reprend la problématique révolutionnaire soulevée il y a un an avec le texte de Grabbe : Napoléon ou les Cent jours.
A Gennevilliers depuis 1963, quand le théâtre était encore une scène nationale, Bernard Sobel vise à présenter des textes souvent ignorés ou méconnus, et à chercher une proximité avec le public local. Il a permis à des metteurs en scène aujourd’hui reconnus (tels Patrice Chéreau et Stéphane Braunschweig) de faire leurs premières armes.
Lui-même metteur en scène, il a monté depuis 1964 des textes de répertoires variés, beaucoup d’auteurs allemands, comme Brecht, Müller, Mann, mais aussi Shakespeare, Marlowe, Claudel, Molière…


Chronic’art
: Quels ont été vos axes de recherches ?

Bernard Sobel : Il n’y a pas de choix a priori. Le théâtre est un laboratoire. Nous sommes constamment dans la recherche. Les œuvres sur lesquelles je travaille témoignent de ces recherches. J’ai une attitude attentiste, dans le sens où la poésie est ininterrompue. Ce qui reste ? Ce qui est provocant !

C’est quoi le théâtre ?

Le théâtre, c’est une pratique de l’humanité, dans son travail de construction sur elle-même, qui est sans cesse renouvelée. Le théâtre, c’est bien sûr un divertissement, une joie, un plaisir. Mais ils se fondent sur le fait que l’animal parlant se regarde et s’observe, voit comment il fait. Un répertoire (du Molière, du Claudel par exemple) témoigne de ce regard anonyme, des questionnements d’une époque, de l’espèce humaine, par le biais de la poésie. Le lieu du théâtre peut avoir une multitude de formes, comme le théâtre de rue. C’est un lieu que les gens connaissent. Pour reprendre les mots de Shakespeare, « la vie est un théâtre ». Un endroit où l’on précise la nature de son regard, ce regard dont on n’a pas forcément conscience dans la vie quotidienne, quand on est à table, ou dans le métro. Par le théâtre, nous pouvons nous arrêter et nous regarder vraiment.

Pouvez-vous nous parler de votre travail sur Les Nègres de Genet, que vous avez monté récemment ?

Le théâtre de Gennevilliers a une volonté de participer à la découverte d’œuvres, d’auteurs peu connus. C’est aussi bien la découverte de textes anciens, comme ceux de la Chine du XIIIème siècle, que celle de jeunes artisans du théâtre. Le fait de savoir s’ils sont des artistes est une autre question.
L’objectif des Nègres était de trouver dans un groupe une certaine égalité dans la possibilité de travailler. Cette rencontre avec Genet, c’est aussi celle d’un groupe humain qui utilise le lieu du théâtre comme outil pour parler de soi. Dans l’apparence, c’est un masque qu’utilise Genet pour parler de lui-même, des laissés pour compte, des exclus de la société, et qui pourtant ne peuvent vivre que selon ses valeurs. Cette question de l’exclusion est liée à Genet car il a été rejeté par sa mère, par son père. Il a refusé son identité. Il a dû acquérir son identité par le langage de ceux qui l’avaient exclu.

Et la saison 97/98 du Théâtre de Gennevilliers ?

Le théâtre est un lieu où la question se pose. Nous avons débuté la saison avec Pearl for pigs, de Foreman. C’est un Hamlet moderne en quelque sorte.
Les Nègres
de Genet, traite comme je l’ai dit de l’exclusion, mais aussi de la révolution : est-ce possible de changer l’état des choses ? Cette tentative de changer les choses est une question incessante en Occident. Il y a eu un échec de la confiance dans les lendemains qui chantent. On aligne les morts du goulag, d’Auschwitz, les 250 millions d’enfants exploités. L’humanité doit avoir le courage de faire face à la tâche qui l’attend. Papon, c’est un crime contre l’humanité. C’est aussi de l’humain. L’humanité se pose trop comme idéal.
Hamlet
dans la mise en scène de Cantarella, est une recherche sur l’humain. Or le théâtre est au cœur de ce questionnement. On ne réfléchit pas pour donner sens à la vie. Hamlet, c’est cette conscience de notre finitude.
Nous avons présenté ensuite Sladek, soldat de l’armée noire, de Odon von Horvath, qui parle d’un soldat qui va petit à petit se déposséder de tout. La tragédie optimiste de Vichnevsky est actuellement en représentation. En mai, Phèdre de Racine, mis en scène par François-Michel Pesanti, et Le corps dans le bois qui brûle de Pesanti, mis en scène par l’auteur, pour clore la saison.

Il y a des liens évidents entre tous ces textes. La programmation allie des cultures différentes ; américaine, française, autrichien, soviétique. Le théâtre français s’est nourri des auteurs étrangers. Peut-on représenter le monde d’aujourd’hui sur le lieu du théâtre ? Les auteurs étrangers comme Brecht ou Bond nous convoquent. On a besoin d’eux. L’écriture théâtrale contemporaine ne nous suffit pas.

Quel genre de public êtes-vous ?

Quand je vais au théâtre, je suis un public banal. Je suis un spectateur qui attend le moment où quelque chose va se passer. Un moment de questionnement, d’angoisse, de malaise qui me taraude et qui trouve son expression devant moi. Cela me permet non pas de le surmonter, mais d’exprimer cette chose qui est muette. Ce qui m’intéresse, ce sont les cinq minutes qui feront parler en moi ce qui était muet.

Qu’attendez-vous en tant que metteur en scène ?

Qu’il y ait du miraculeux ! Pour autant, j’ignore ce dont il s’agit. Je suis en permanence étonné : il a des spectacles, des choses qui se passent. Mon esprit critique est inintéressant. Nous sommes comme des enfants dans une cour d’école, on joue à être celui-ci, celui-là. Ce n’est pas plus compliqué !

Rien d’autre ?

J’ai envie de rendre les spectateurs passionnés par ce qu’ils sont, et être ce qu’ils sont. J’ai envie que les gens se découvrent. Qu’ils soient à eux-mêmes un terrain inconnu. Et qu’ils soient heureux, du fait qu’ils prennent conscience qu’ils n’iront jamais complètement au bout de la découverte. Que ce sera un voyage sans fin, et que ce voyage est formidable.

Propos recueillis par