Que les fans du polar français qui désespéraient de n’avoir plus que les Julie Lescaut couillus d’Olivier Marchal pour pâture se consolent : la becquée se fera pour une fois chez Lucas Belvaux – et elle aura meilleur goût. Inspiré de l’affaire Empain, qui avait vu en 1978 un riche héritier se faire kidnapper en plein Paris, Rapt mixe le polar intime et la chronique de fait divers, flânant le long des terres du Zodiac de Fincher. Si d’un film à l’autre, de La Raison du plus faible à Rapt, le sujet est le même (l’humiliation, les stratégies d’affaiblissement de l’être humain), Belvaux aura néanmoins complètement changé d’angle de vue, déplaçant sa caméra du plus faible au plus puissant, de l’ouvrier crève-la-faim au PDG womanizer.

Rapt est moins un récit qu’une fresque, un panorama sans véritable héros, partageant presque équitablement le film entre l’avocat (Alex Descas), la femme (Anne Consigny), la mère (Françoise Fabian) et les autres (le flic, les enfants, les collègues) qui, tour à tour, ont chacun leur quart d’heure de trame, relayés par le fil Stanislas Graff (Yvan Attal, énorme). Le cinéma des gens plutôt que du héros, c’était déjà la geste des précédents films de Belvaux, de sa simili-comédie humaine (Cavale / Après la vie / Un Couple épatant, où des personnages passaient du premier au second plan d’un film à l’autre) à son remix du fight entre le loup et l’agneau de La Raison du plus faible.

En cela, il y a un aspect profondément moraliste dans l’œuvre de Lucas Belvaux, ancré dans la tradition littéraire de l’étude des mœurs (le garçon vient de l’univers du théâtre), d’une sociologie vintage plus La Fontaine (sa boîte de production s’appelle quand même « Entre chien et loup ») que Houellebecq. Là sont les limites de Rapt : composer un recueil de caractères pour parler du siècle, c’est prendre le risque de l’étalement, de vouloir trop en dire. Au final, le film réussit à capter une belle galerie de portraits : le pragmatique, l’ambitieux, la fidèle, l’effrontée, l’arriviste, le brave, le violent, le mesquin, etc. Mais sa maxime, cette chute archi cynique (« Je veux voir mon chien » sont les premiers mots de Stanislas Graff à son retour) nous font penser que Belvaux souffre d’un mal bien tenace : la littéralité de ceux qui ont peur de n’être pas compris. Comme le titre du film se répétant au générique du début, mieux vaut dire deux fois plutôt qu’une.