La fiction politique reste une entreprise particulièrement casse-gueule, et pourtant on y revient toujours avec curiosité, tant le genre pose à qui s’y essaie de questions passionnantes : question de l’incarnation d’hommes politiques contemporains, choix d’une plus ou moins grande stylisation des évènements décrits, du dosage de chronique et de fiction, etc. Plus l’espoir de redécouvrir un jour une réussite du niveau de Tempête à Washington (Preminger) ou, plus récemment, de The West wing. In the loop ne joue pas dans cette catégorie, mais constitue dans un premier temps une assez bonne surprise : sorte de variation satirique sur The West wing, le bel idéalisme de la série de Sorkin ayant fait place à sa caricature grinçante. Le film s’ouvre sur la gaffe du secrétaire d’état britannique au développement international, la mention incontrôlée d’une guerre imprévisible (une « intervention armée au Proche-Orient », où l’on reconnaîtra sans peine l’Irak) et relate les derniers jours devant mener au conflit, ou pas.

Autant dire que la classe politique n’a pas la superbe du président Bartlett : amorale, vulgaire, manœuvrière. Les conseillers du président américain géraient les affaires du pays, plusieurs dossiers sous le bras et sur-caféinés pour compenser le manque de sommeil. Leurs homologues britanniques s’affairent pour jouer les potiches de luxe dans des réunions de complaisance. Un tel cynisme pourrait facilement rebuter, mais le film est plus malin. Il manifeste non une affection, mais un appétit véritable pour la chose politique : ses comités pas vraiment transparents, ses manoeuvres, ses dossiers aux sigles impayables. Pour les condamner sans doute, cependant (et c’est là l’essentiel) la contestation s’accompagne en permanence du plaisir de l’immersion, dans un monde qui inspire à l’évidence autant de fascination que de répulsion. Le spin-doctor n’a peut être que l’injure à la bouche, et le ministre sa balourdise, du moins ils l’expriment en sillonnant avec élégance les bureaux et couloirs de l’administration, dans un walk-and-talk à la vivacité sorkinienne (In the loop doit être le film du moment où l’on parle le plus et le plus vite). La ressemblance est réelle : il suffit que la satire de l’un, forcément mécanique, se mette en sourdine, que l’idéalisme de l’autre se mâtine d’une lucidité caustique, et les deux se retrouvent finalement assez proches, dans une description percutante et enlevée des arcanes du pouvoir. Et puis la pléiade de salauds est à peu près équilibrée par le petit nombre, d’objecteurs de conscience serait trop dire, disons de raisonnables sceptiques devant l’escalade militaire des faucons : le film a plus ou moins ses porte-paroles, procédé facile mais tellement nécessaire pour éviter le jeu de massacre hautain, et laisse encore ouverte la possibilité d’une grandeur politique. Ajoutons que cet In the loop au style assez télévisuel est bien écrit, bien joué et souvent drôle, retrouvant la vitalité de la télé anglaise telle qu’elle s’incarne exemplairement dans les séries de Ricky Gervais. Toutes proportions gardées.

Mais le film avance en decrescendo et finit par lasser, voire désoler en enchaînant à l’extrême-fin des choix catastrophiques. Iannucci fait rentrer tous ses personnages dans le rang, les privant du libre-arbitre le plus élémentaire. Un à un les opposants au conflit se rallient, par carriérisme ou indifférence, sous le coup des menaces ou des promesses. On donnerait beaucoup pour que l’auteur leur laisse une marge de manœuvre, au lieu de cette charge bourrine, hélas le choix du cinéaste est sans appel. Raté évitable peut-être, mais au fond l’échec était en germe depuis un moment : par sa complaisance dans le petit périmètre qu’il s’était fixé, son choix d’une mécanique réglée excluant toute hétérogénéité (qu’on songe à l’assez passionnant The Queen), In the loop, annonçait son issue déprimante. Le rire contestataire ne peut durer qu’un temps : désarçonner par son insolence, et ouvrir sur la gravité. S’il se prolonge, il ne montre que son accoutumance à la situation dénoncée, révélant son petit jeu misanthrope et cynique.