Misant gros, autant dire à peu près tout, sur ses acteurs (Michelle Williams et Ryan Gosling, invités à improviser le détail de ce récit d’un désamour), Blue valentine court le risque courant de n’offrir finalement qu’un documentaire sur leur technique. Risque d’autant plus grand ici que le film est vendu sous cette seule bannière, leurre habituel dont l’efficacité publicitaire demeure intacte : Williams et Gosling, c’est bien simple, sont devenus leurs personnages, auxquels ils ont donné « corps et âme », comme on dit dans les dossiers de presse. C’est un leurre parce qu’évidemment, le film ne capte pas d’autre vérité que celle de la performance, qui est juste tandis que les personnages sont faux, englués qu’ils sont dans le naturalisme décoratif et typiquement sundancien de la mise en scène (marginalité Kiliwatch saisie en longue focale, petite musique ultra-volontariste de la vie ordinaire…). Néanmoins ce workshop filmé se révèle au bout du compte assez productif. D’abord parce que les acteurs, en effet, sont bons – avec un avantage très net pour Williams. Ensuite parce que le film retrouve dans la captation de la performance le sujet qui, ailleurs, échappe à son réalisme coquet.

Plus que d’un désamour, Blue valentine fait le récit d’un désaccord, au sens d’une impossible harmonie. Entre Dean et Cindy, qui ont la trentaine et un enfant, il y a quelque chose qui ne passe plus. Au milieu de ce quotidien au seuil de la rupture, des flashbacks font remonter des images de leur rencontre, mais avec elles c’est moins le contrepoint idyllique de cet échec qu’on déterre, que l’idée qu’il y avait d’emblée, entre les deux, un écart, une séparation dont le travail des années ne demandait qu’à creuser la béance. Du côté du scénario, c’est l’écart entre deux stratégies de vie, deux façons de s’accommoder du quotidien – lui : dilettante, résigné, sympa ; elle : volontaire, plus dure, accrochée à ses modestes ambitions. Du côté de la performance, c’est l’écart entre deux stratégies de jeu, deux façons de s’accommoder de l’exercice qui, elles non plus, ne s’accordent pas.

Chaque fois que le film soumet Williams et Gosling au vertige de l’improvisation (et ces moments-là sont assez voyants, on les voit nettement, tous les deux, chercher de quoi remplir le plan), l’écart se creuse un peu plus entre deux voies, deux stratégies. L’une, celle de Gossling, très lisible, behaviorisme à la mode Actors studio qui lui impose d’avoir toujours quelque chose à faire pour figurer un état intérieur (jouer une sérénade au ukulélé, enjamber la rambarde d’un pont pour obtenir un aveu), ou alors, de ne rien faire du tout mais de façon très appuyée, très significative. Technique somme toute limitée, auquel Gosling, assez cabot, s‘accroche de film en film (déjà dans Une Fiancée pas comme les autres, bientôt dans Drive), superposant systématiquement une couche de naturalisme amorphe (oeil mort, expression vague) et une autre, en contrepartie, d’affect explosif. La voie Williams est plus secrète, moins identifiable, plus riche en cela. Elle aussi se poursuit de film en film (jusqu’au très beau La Dernière piste de Kelly Reichardt, qui sort le 22 juin 2011 et où elle est admirable), fidèle à un programme où elle excelle : obstination douce, adaptation un peu désespérée, à la fois ferme et tremblante, à tout ce qui se présente, labeur toujours recommencé du quotidien (Wendy & Lucy, exemplairement). Cette négociation constante et assez fascinante entre deux manières de jouer, si elle est à l’avantage de Williams, en dit plus long sur la dialectique du couple que la grammaire indie et appliquée de celui qui les regarde.