Pour Peaky Blinders, le scénariste et showrunner Steven Knight emprunte et mélange deux archétypes américains : le western et le film de mafieux. Le premier épisode s’ouvre sur l’arrivée d’un homme à cheval dans le quartier chinois du Birmingham de 1919, cowboy de l’Angleterre d’Oliver Twist, le regard dissimulé, voix grave et Zandstra de Nick Cave qui recouvre les pas feutrés de l’étalon noir. Une jeune chinoise terrorisée souffle une poudre rouge sang dans l’air, « pour qu’il gagne la course », et le John Wayne à l’accent nordique disparaît comme il est apparu. Mais cet onirisme superstitieux n’est qu’une mascarade. Thomas Shelby est juste en train de booster les paris en vue de la prochaine course de son cheval. Clint Eastwood rencontre un dark Tarantino et lit Mario Puzo.

Proche d’un Boardwalk Empire pour l’époque, la violence, la corruption, le sexe, et la trahison familiale, Peaky Blinders se considère comme la caution HBO de la BBC. La famille Shelby règne sur le Birmingham post-première guerre mondiale. Rien de ce qu’ils font n’est légal, des paris truqués à la gestion approximative d’un pub, mais tout se complique encore d’avantage quand Tommy Shelby – magnétique chef de famille torturé – se retrouve par hasard en possession d’armes volées au gouvernement de Churchill. La série tire son nom d’un véritable groupe criminel de la fin du XIXème, les “peaky blinders” donc, renommés ainsi à cause de cette fâcheuse manie de coudre des lames de rasoirs sur la visière de leurs casquettes – ce qui leur permettait de couper une oreille ou d’aveugler un ennemi. Décors, costumes, accents travaillés, photographie ultra léchée, l’imagerie de Peaky Blinders frappe le premier coup. Sur une BO anachronique faite de Jack White, Nick Cave et Tom Waits, les membres de la famille Shelby jouent avec des guns, des lames de rasoirs et des pintes de bières, règnent sur le pub du coin et les rues cradingues du quartier industriel avec un style incisif qui rappelle Reservoir Dogs. Punch lines à tous les épisodes, gros plan sur le regard glacial du manipulateur de service, ciel menaçant, duels d’égos et gros rock sur les bottes dans la boue: tout y est pour rentabiliser le gros budget investi par la BBC, pour fabriquer de l’épique et du percutant. Ca marche, le mafieux est taciturne, le flic est méchant, les frères des brutes et les trahisons définitives (du moins le croit-on pendant les 5 premiers épisodes). Le spectateur n’a d’autre choix que celui d’être happé par le stratagème, de céder à la tentation de cette narration express et de garder les quelques questions qui subsistent pour plus tard.

La série souffre du format anglais de six épisodes : bien trop court pour l’ambition que s’est attribuée BBC Two. Le premier épisode installe très rapidement les personnages principaux et la première couche de cachoteries. Si la double intrigue public-privé – les armes et les courses d’un côté, la problématique Freddy, l’énigmatique Grace de l’autre – suffisait à étirer le scénario sur une dizaine d’épisodes, ces six heures ne suffiront pas à développer la caractérisation des ennemis – les Lee et Kimber notamment – qui restent alors infiniment moins passionnant que le clan Shelby. Le background de Grace, la serveuse trop jolie pour être honnête, subit le même sort.

Le côté tape à l’œil a beau être délectable visuellement, il reste une conséquence de taille: ça murmure beaucoup. Symptôme principal de la série aux multiples rebondissements: le susurrement. Voix grave, légèrement cassée, grosse musique « rebondissement » sur la dernière syllabe. Vous y êtes ? Prenez Revenge, spécialiste du genre. Tommy Shelby passe donc la majeure partie de son temps à comploter en chuchotant, à faire des révélations à coup de murmures. Il n’y a que Tony Soprano qui peut commanditer un meurtre et l’annoncer à haute voix, qui dit « éliminez le » comme « allons se faire un pastrami » et Shelby gagnerait à lui emprunter un peu de sa désinvolture sociopathe. Si les deux séries fonctionnent en effet sur l’attrait de l’anti-héros, bête cruelle au fond duquel se cache un petit cœur tendre, Tommy Shelby n’est pas Tony Soprano – et ce n’est pas juste une question de murmure. Le dernier épisode de la saison finit de nous en convaincre, Shelby – dont les motivations sont parfois éludées – est incapable de condamner un ami, trop disposé à pardonner, trop aveuglé peut-être, trop soft.

Dans cette scène finale au cliff-hanger magistral, le personnage derrière le revolver n’est pas le bon. En inversant à l’épisode six les rôles de Tommy, le traditionnel mafieux sans coeur et de l’inspecteur Campbell, le représentant de la loi, Steven Knight prive le spectateur de son droit à la tragédie. Duel final expédié et vengeance oubliée, il semblerait que Knight veuille trop protéger ses personnages en vue d’une deuxième saison. Les pertes sont donc minimes, alors que les cinq précédents épisodes nous avaient suggéré l’apocalypse. La saison deux, diffusée à l’automne, devrait voir l’arrivée de Tom Hardy (Inception, The Dark Knight Rises…) et gagnerait à finir sur une touche plus sportive.