Impossible d’emblée d’ignorer l’environnement économique dans lequel s’inscrit cette série. Lancée en grandes pompes par Netflix, un réseau de diffusion de programmes en streaming, House of cards est d’ailleurs moins un simple programmes télévisé qu’une machine globale censée accoucher d’une petite révolution dans les modes de consommation des images. Machine de promotion d’abord pour son producteur Netflix qui avec cette série attendue et menée par David Fincher voit l’occasion de mettre en avant son modèle de diffusion en streaming pour concurrencer les networks et les chaînes du câble. Machine de communication aussi, puisque chaque visionnage est l’occasion d’enregistrer l’identité et le comportement du spectateur (ses pauses, ses retours en arrière, le nombre d’épisodes qu’il voit à la suite). Ainsi, moins que d’agréger une audience, Netflix mesure et épouse les désirs de ses consommateurs. Autant dire que la création d’un programme devient ici une pure entreprise de marketing. Machine fictionnelle enfin, puisque en plaçant David Fincher aux commandes,  on retrouve les obsessions significatives de l’auteur de « The social network » et « Millenium » : la totalité du monde comme un jeu, le jeu comme une grille de signes, la grille de signes comme une mécanique secrète que seuls des esprits calculateurs sont à même de décrypter.

La série court donc le risque de se noyer dans une rutilance glacée répondant machinalement aux attentes de ses spectateurs. Mais la force du projet est précisément d’en avoir fait le moteur de son esthétique. Car, de sa narration à son montage, tout dans House of Cards est l’inlassable éloge du mécanique ordonnant le vivant.

Remake avoué d’une série britannique de la BBC, la série plonge dans les arcanes de la politique américaine en suivant les pas de Francis Underwood, membre de la Chambre des représentants. Chef de la nouvelle majorité démocrate, sa nomination au poste de secrétaire d’Etat est finalement annulée. Décidé à se venger d’un tel affront, il entreprend  de se rendre indispensable en manoeuvrant avec brio sur le complexe échiquier politique des institutions américaines. En prenant pour décors les allées washingtoniennes du pouvoir, la série fait souvent songer à « Tempête à Washington » le film de Preminger sur les coulisses d’une nomination au poste de Vice-Président. Même regard calculateur sur la décision politique, même distribution spatialisée du pouvoir, même usage de l’information comme un virus lancé dans l’immense organisme politique. Mais si le scepticisme de Preminger produisait un regard tout à la fois amer et admiratif sur le système politique américain, la vitesse d’exécution qui commande le montage d’House of cards signe une vision radicalement cynique des institutions américaines. S’il n’a réalisé que les deux premiers épisodes, la patte de Fincher se fait sentir tout le long de la série à travers la clôture des cadrages et la vélocité implacable du découpage. Gestes, clin d’œil, mouvements : les corps ne sont que les rouages d’un dispositif plus vaste assimilable à un immense échiquier. Dans cet espace serré, la liberté n’est plus alors que la capacité de mener un complot.

Ici donc, nul idéal ni vision politique mais simplement l’hubris d’un personnage inspiré du Richard III de Shakespeare.  Joué suavement par un prodigieux Kevin Spacey, Francis Underwood se présente d’emblée comme un être à l’amoralité sans fond, qui n’interpelle le spectateur que pour lui faire part de ses plans.  C’est donc au spectacle d’une machine calculatrice que nous assistons, puissance mécanique qui manipule les affects et ambitions des uns et des autres pour arriver à ses fins. Personnage sans fêlure ni intériorité, il faut pourtant tout un épisode au milieu de la saison pour en révéler un peu de la part mystérieuse. Dans cette pause narrative tournant autour de la personnalité d’Underwood, s’esquisse une ligne secrète entre les restes de sa joie enfantine, le plaisir du jeu et son machiavélisme sans projet. Et l’on comprend alors que toute la série ne tient qu’en une seule idée : la politique américaine est un implacable système qui transforme les jeunes gens en monstres froids. Tout l’enjeu de la saison à venir serait alors de mesurer les restes d’humanité qu’elle n’aurait pu assimiler.