Nous avons sans doute présumé trop tôt un lot de profils psychologiques fascinants mais un peu figés au fil de la première saison de l’adaptation de Dragon Rouge par Bryan Fuller. Au gré d’une redistribution des cartes plus subtile qu’il n’y parut sur sa fin, la suite des aventures intérieures d’Hannibal le cannibal s’avère contre toute attente bien plus passionnante que son aimable et sordide amuse-gueule procédural de l’année dernière.

Avant d’arriver au plat de consistance de cette saison 2, son “moi profond”, il faudra passer outre l’amplification spectaculaire des effets grand guignol qui ont fait le succès de cette série très premier degré. En effet, plus gore et bruyante que jamais, Hannibal se surpasse dans des tableaux baroques de meurtres à la mise en scène visuellement indélébile et dans des couleurs de bandes sonores invariablement cacophoniques, sérielles, à la suite desquelles les dialogues – d’une qualité d’écriture sans fausse note – occupent autant d’espace que de simples murmures. Et qu’importe à quel volume, les langues n’en finissent plus de se délier à mesure que se resserre l’étau autour du “bon” docteur Lecter.

Will est maintenant en hopital psy de haute sécurité, accusé des meurtres commis par Lecter. Crowford doute peu à peu de sa culpabilité comme de l’innocence d’Hannibal tandis que sa femme songe à en finir avec son cancer dans la dignité. Le docteur Bloom – faire valoir “science is sexy” – sombre dans un doute piteusement dénué d’orientation vers les bonnes questions tandis que son double mature et analyste d’Hannibal, Bedelia Du Maurier, abandonne ce dernier à un sort plus triste qu’il n’y paraît. Une décision sage aux vues de la crise que traverse le docteur “bien sous tout rapport” et que son attitude stoïque et proverbiale  peine de plus en plus à cacher. En vérité, sous un jet de dès qu’il a lui-même initié, le monde d’Hannibal s’éffondre. Et la psychanalyse ne néglige jamais de souligner le phénomène de transfert que toute cette saison 2 étend à l’interaction de ses personnages pivots. Chilton, le directeur de l’hôpital de Batlimore, idiot utile et praticien plus vaniteux que visionnaire de la saison 1, n’hésite pas à braver l’éthique et le devoir de réserve échue à son rang pour provoquer Hannibal, le pousser dans ses retranchements. Gideon, serial killer et jouet précédent de l’analyste cannibal, est désormais utilisé par Will. Et Will, encore plus en proie à des hallucinations aussi poétiques que lucides, renverse les rôles à un point tel qu’il apparaît comme le rat en cage pleinement capable de rendre fou le laborantin Lecter – lui qui se croyait manipulateur tout puissant, a l’abri des dépendances de la sociabilité et bien recouvert d’un manteau de respectabilité finalement pas si épais.

Au-delà du traitement de la solitude du Mal, cette seconde saison nous parle de l’isolement de l’intelligence émargée des normes sociales. Du manque pathologique de Meinshkeit (le souffle qui sépare deux mains fraternelles sur le point de se serrer) qui fait d’Hannibal un génie barbare mais, surtout, un clown triste, replié dans ses habitudes alimentaires aujourd’hui proches de l’autisme et s’illustrant par un manièrisme dandy pathétique. Même ses créations morbides empruntent désormais une forme d’humour deséspéré. Elles suintent l’effroi de l’ennui qui arrive, le constat de l’effondrement de sa facade aimable. Surconscient de sa singularité mais inapte à voir quand on le quitte (sa psy, puis Crowford, puis Will). Désormais sur son grand échiquier, après avoir bouffé tous les pions, les coups d’avance se raréfient et le roi se sent seul. Il sera bientôt mis à nu, avec son propre concours s’il le faut. Pourvu qu’un peu d’humanité se joigne à sa table, on présume, pour le dernier souper.