Il y a quatre ans, un Jack Bauer fourbu, ensanglanté et laminé par des années de lutte ingrate nous faisait ses adieux à travers un plan aérien pitoyable tandis que Chloe O’Brian, sa fidèle secrétaire assistante administrative slash hackeuse et … Freddy Prinze Jr (oui, celui même de She’s All That et I Know What You Did Last Summer) s’étouffaient de larmes sur fond de violons sirupeux. Ayant (tragiquement, mais fortuitement) vu le jour quelques semaines après les attentats du 11 septembre, la série symbole des années Bush n’était plus qu’un ersatz grotesque de ses plus belles heures (les saisons 1 et 5 en particulier), n’ayant plus sa place dans l’Amérique d’Obama, celle – supposait-on alors – de l’ouverture et du dialogue.

Après 8 belles années de Jack Bauereries polissonnes, tirer deux balles dans la jambe du premier terroriste à disposition n’était plus considéré comme une méthode d’interrogatoire un peu musclée mais fondamentalement badass (Abu Ghraib oblige), et n’importe quelle personne un peu basanée ou avec une casquette à l’envers n’était plus forcément un ennemi de l’Amérique (un noir étant vraiment devenu Président). A l’époque, le showrunner Howard Gordon et Kiefer Sutherland étaient unanimes: l’heure d’une retraite méritée était enfin arrivée pour Jack.

Le problème est qu’après avoir été à l’avant-garde du renouveau des séries de networks avec 24 (et de la télé-crochet avec American Idol), la Fox a vu ses audiences décliner dramatiquement ces derniers temps, comme si cette Amérique soudainement démocrate n’avait plus de place pour elle. En désespoir de cause, c’est tout naturellement vers le sauveur du monde libre (et républicain) que la chaîne s’est une nouvelle fois tournée, cédant à la mode (pratique) d’une “event series” limitée à 12 épisodes au lieu des traditionnels 24. Les deux premiers épisodes (les seuls que nous avons pu voir, d’où l’absence de note) se déroulent en temps réel, mais Live Another Day devra à un moment se départir du schéma traditionnel de la série pour effectuer des sauts narratifs.

Le season premiere s’ouvre dans une sorte de souk, tandis que l’appel du muezzin retentit et qu’on voit des agents secrets sur le qui-vive. Contrairement aux apparences, nous sommes à Londres, à la recherche d’un Jack Bauer désormais devenu l’un de ceux qu’il a toujours combattu à grands renforts de torture et de “you don’t wanna fuck with me, you know what I can do”: un ennemi des Etats-Unis traqué par l’antenne locale de CTU. Durant tout cet épisode, il est une quasi-parodie de lui-même, sorte de mime froid, déterminé et résigné à la fois ne déserrant une machoire toujours aussi carrée qu’en de rares occasions pour éructer un pénible “go !” ou, quand il est d’humeur bavarde, un “let’s go !” enthousiaste. Le reste du temps, il se contente de jeter des regards assassins aux agents qui le poursuivent et finissent par le capturer. Au même moment, le président Heller (dont Jack était le garde du corps lorsqu’il était simple Secrétaire d’Etat à la Défense) visite Londres accompagné de sa fille (la délicieuse Audrey, avec qui Jack sortait avant de – classique plot twist à la 24 – laisser son mari mourir dans d’atroces souffrances). Chloe est également dans le coin, son nouveau look gothique des plus seyants signalant qu’elle est désormais une sorte d’Edward Snowden combattant l’espionnage des gouvernements occidentaux au sein d’un groupe de hackers underground. Lorsqu’un pilote de drone américain basé lui-aussi  (coïncidence fortuite ?) à Londres perd le contrôle de son drone qui – eh oui, classique plot twist à la 24 – tire sur le groupe de soldats US qu’il était censé protéger, on sait que la nouvelle journée où les chiffres jaunes s’égrènant en fin d’épisode annoncent systématiquement un cliffhanger est bel et bien lancée.

Il est difficile de chroniquer une saison de 24 en ayant seulement vu son ouverture, souvent la partie la plus brillante du dispositif quasi-mécanique mis en place par ses auteurs. C’est souvent le ventre mou des saisons précédentes (où des épisodes de remplissage étirent l’intrigue au point de la faire caler) et les conclusions (dont les rebondissements les plus improbables rendaient impossible la suspension of disbelief indispensable à l’appréciation de la série) qui pêchaient dans leur éxecution. Le fait que Live Another Day déroule son script en 12 épisodes est de bonne augure, laissant espérer une narration plus directe et un rythme plus constant. L’ouverture bénéficie visiblement de cette efficacité nécessaire, Jack ne passant pas des heures interminables à la recherche des informations l’amenant à réaliser qu’un attentat se prépare: il possède déjà toutes les infos relatives à la menace contre Heller dès la scène d’ouverture (no spoil !). Les sous-intrigues et la galerie de personnages secondaires (les agents de CTU carriéristes/rebelles/buraucrates, les terroristes qui traffiquent des bombes en présence de leurs copines en sous-vêtements, les conseillers présidentiels chafouins) sont toujours aussi caricaturaux, mais cela fait partie du contrat implicite que l’on accepte lorsqu’on lance une saison de 24. Celle-ci s’annonce de meilleure facture que les 3 dernières, et Canal+ a le mérite d’avoir mis un dispositif original permettant de la regarder légalement et en même temps que les américains (à 2h du matin, donc). Rendez-vous en juin pour le verdict final.