Elle est effectivement là, cette fameuse « marque de fabrique » de ces descendants du réalisme historique hollandais : l’approche analytique et minutieuse du réel. Tous les genres traditionnels et familiers sont également au rendez-vous : natures mortes, paysages, portraits, nus, scènes de la vie sociale (kermesses, ouvriers…). On s’en tiendrait à cette approche, on verrait sans doute de belles pièces, mais on louperait à l’évidence la portée d’une exposition qui s’inscrit dans une revalorisation historique du réalisme de l’entre-deux-guerres. Une période bien mal connue en France pour laquelle on préfère citer surtout les suites de l’abstraction de De Stilj.

Le style de ces artistes, proche de celui de leurs collègues de la Neue Sachlichkeit allemande (« nouvelle objectivité »), était qualifié de « réalisme magique ». Aujourd’hui, on parle de « nouveau réalisme », mais pour cette même préoccupation : la reproduction objective d’un contenu subjectif, qui est, au regard de l’exposition, bien divers. On balance entre la fascination et la crainte du modernisme anonyme qui transforme les relations sociales et incline surtout à l’introspection. Le regard du Fou avec coq de Melle nous plonge dans les turpitudes refoulées des expériences sexuelles, tandis que la femme de Orso de Gerrit van’t Net, au symbolisme quasi hermétique, manifeste une féminité excentrique. Présence aussi d’une âme visionnaire dans cette période politique et culturelle trouble comme dans La Nature morte de la Saint-Nicolas de Dick Ket, regard désabusé et froid sur le temps de l’innocence. Loin de la fête des enfants.

Le réalisme comme style fut malmené et dévoyé par sa tendance réactionnaire lorsqu’il fut à la solde des régimes autoritaires de gauche ou de droite. Ce n’est pas le cas de Nola Hatterman qui milita avec ses portraits de facture traditionnelle pour la reconnaissance des droits des Noirs (voir la reproduction). De plus des relations d’influences furent bénéfiques et originales avec les principaux courants transnationaux et d’avant-garde. On le voit bien à l’exposition. Citons, entre autres : fauvisme, cubisme, constructivisme, expressionnisme, surréalisme ainsi que le cinéma Bref se découvrent un modernisme à part entière hors des canevas dogmatiques, hors, par exemple, du classicisme à la française.

Loin de l’effet de mode, cela fait déjà une vingtaine d’années que les recherches européennes se multiplient sur le thème du réalisme, ou plus exactement des réalismes. Cette exposition est en quelque sorte la continuation complémentaire -centrée sur un pays- Des années trente en Europe. Le temps menaçant 1929-1930 au musée d’Art moderne de la Ville de Paris en 1997. Exposition et catalogue l’accompagnant s’ajoutent ainsi aux recherches et débats.