A l’égal de ses amis de la Beat Generation, qu’il photographia amplement, Robert Frank a livré une chronique désabusée, parfois non dénuée de tendresse, mais terriblement acide du peuple américain. Ses photographies au cadrage libre, ne faisant pas grand cas des normes en vigueur à l’époque, ont marqué une nette évolution dans cet art. Quarante ans après leur parution, elles n’ont rien perdu de leur charge subversive. Longtemps poursuivi par son Leica, Jack Kerouac s’exprime ainsi, dans sa préface au livre mentionné ci-dessous, sur son ami : « Il a su tirer du cœur de l’Amérique un vrai poème de tristesse et le mettre en pellicule, et maintenant il prend rang parmi les poètes tragiques de ce monde. » Une poésie devant laquelle les mots sont impuissants : splendeur des routes argentées sous la lumière de feux nocturnes, fleuves brillants à la pointe de l’aube, portraits de passants perdus dans l’immensité des villes, etc.

L’exposition reprend, cliché après cliché, ses travaux de 1958, l’année où il parcourut en solitaire à peu près tout le pays. Ils furent réunis peu de temps après dans un album (Les Américains) respectant au mieux le gros grain de son auteur. Quant aux originaux présentés dans la galerie, on ne peut regretter qu’une seule chose : qu’ils soient placés sous des vitres qui vous renvoient votre propre reflet (quand ce n’est pas celui des autres visiteurs, ce qui est d’autant moins supportable). Un pas de côté est donc souhaitable à une meilleure appréhension de cette œuvre magistrale. Pardon, il est nécessaire.

Maison européenne de la photographie
5-7 rue de Fourcy, 75004 Paris
Tél. 01 44 78 75 00. Ouvert tljs de 11 h à 20 h, sauf les lundis, mardis et jours fériés (30 F).
Exposition Photographie américaine Jusqu’au 8 février.

Album : Robert Frank, Les Américains, Editions Delpire, 249 F, 174 p.