Faire la cartographie des crimes de ce siècle relève largement de la gageure. Les organisateurs de cette vaste exposition ont bien saisi les enjeux de ce dilemme. Il s’agit tout au plus de rendre compte, de donner à réfléchir, de faire passer quelque chose jusqu’à la conscience. Pour parler de ce siècle, Paul Ricoeur évoque le concept de « culture de mort », l’explicitant comme la capacité des cultures à mourir de s’affronter plutôt qu’en s’en sortir ensemble, par le haut. La barbarie comme impossibilité à regarder les étoiles, en quelque sorte.

L’actualité nous ramène vers le génocide arménien (qui a démarré le 24 avril 1915). Nos politiques ont la pudeur de leur diplomatie, et refusent encore de froisser la Turquie. C’est pourtant bien la première opération organisée de massacre systématique d’une population. Les pogroms ancestraux, notamment en Ukraine, dirigés contre les juifs, avaient quelque chose d’improvisé, de fougueux, de ponctuel. La Turquie (empire ottoman finissant) a consciemment transformé sa haine en méthode d’extermination. Le siècle était inauguré dans la mort absolue, la tentative d’effacer de l’Histoire et du sol le peuple ennemi.
L’exposition continue son parcours en racontant, succinctement, la première guerre mondiale, la Shoah, les déportations de Tziganes, de communistes, d’homosexuels…

On regrette toutefois que les guerres de décolonisation n’aient pas été évoquées. Les gaz américains au Viêt-nam, la torture dans la « guerre sans nom », ce sont de fichus restes de racisme, les héritiers indirects de la traite des noirs. Les victimes du libéralisme et des idéologies ne sont pas seulement les plus « évidentes », les plus visibles : la pauvreté absolue, qui crie famine, la non-ingérence pour cause d’équilibre entre les deux grands (le Biafra, l’Europe de l’Est) sont des crimes qui restent largement méprisés. Le devoir de mémoire doit s’exercer aussi dans ce qui continue d’agir aujourd’hui : la situation en Algérie, l’absence de paix en Yougoslavie, mais aussi les conséquences de l’esclavage sur le continent noir-africain, de la colonisation sur certains pays du sud-est asiatique…

Une chose suffisamment rare, et par ailleurs fort précieuse, qui mérite d’être signalée : les visiteurs sont accueillis par un médiateur culturel, qui explique avec beaucoup de patience et d’enthousiasme (si l’on ose dire) les différents aspects de l’exposition. Sa présence permet des échanges fructueux, et rend ces témoignages infiniment plus « parlants ».

Cette exposition s’accompagne d’un cycle de conférences tous les jeudis à 19h30.
Renseignements : 01 40 03 76 98

Pavillon Paul-Delouvrier
Parc de la Villette
211, avenue Jean-Jaurès, Paris 19e
Jusqu’au 12 juillet 1998
Les jeudis et vendredis de 14h à 19h
Les samedis et dimanches de 12h à 19h.