Dès ses débuts, Alberto Giacometti insiste sur la place primordiale qu’il accorde au dessin, « base de tout » selon lui, tant pour le sculpteur que pour le peintre. Et dès ses débuts aussi s’imposent les quelques thèmes qu’il reprendra inlassablement tout au long de son parcours : têtes, portraits, paysages, intérieurs, nus. Avec la même constance et la même acuité, il interroge les maîtres anciens. En contrepoint de son travail d’après nature, l’exposition nous en montre de nombreux exemples : dessins d’après Dürer, Michel-Ange, Cézanne, mais aussi, remontant les âges, sans s’arrêter aux barrières du temps, l’art Sumérien, Egyptien, statues de l’île de Pâques. Avec une belle clarté, cette exposition, complétée par quelques sculptures et peintures, nous invite à suivre l’artiste dans sa quête aussi passionnée qu’intransigeante.

L’accent mis sur le dessin se prête admirablement à cette approche : médium léger, il conjugue analyse exacerbée, intelligence de la forme et en prime ces inattendus accents d’intimité qui éclairent la personnalité du modèle de manière inimitable. On peut voir à ce sujet les nombreux portraits de la mère de l’artiste ou de sa femme Annette. Mais ceci est également vrai quand l’artiste s’attaque aux objets les plus modestes : Fragments de paysages, La Suspension, Etude de pommes.
De manière assez paradoxale, cette rigueur quasi « héroïque » de l’artiste n’accable en rien le visiteur : rien ici qui pèse ou qui pose. Ca tient évidemment à l’exceptionnelle qualité des dessins exposés ; leur blondeur, faite d’une multitude de traits cernant des blancs qui sont lumière et espace. De cette trame sensible, tendue, mouvante, surgissent avec une incroyable vérité, ici le jeu savant d’une articulation -têtes, nus-, là le passage subtil d’un plan à un autre -paysages, intérieurs. L’exposition a pour sous-titre Le Dessin à l’œuvre, et s’agissant ici d’Alberto Giacometti, il n’est pas exagéré d’affirmer qu’elle entraîne le visiteur au cœur même du processus créateur de l’artiste.

Placés au centre de l’exposition, sculptures et dessins des années 1925-1935 marquent une rupture. Dans la mouvance du surréalisme, l’artiste rompt avec l’observation directe de la nature. Il en résulte des œuvres étranges, à la limite de l’abstraction, tels Le Palais à 4 heures du matin ou Têtepaysage, ou encore, chargées d’un expressionnisme qui n’est pas sans rappeler le Picasso des mêmes années, Femme égorgée, Cage.

« Tout reprendre à la base » note Giacometti à la fin de sa vie. Le visiteur, captivé, se contentera de refaire à plusieurs reprises le parcours de l’exposition. Sans aucun regret.