Le marching-band est sans doute un des styles les moins sexy qui existent sur cette planète. Le plus commun, aussi. Le folklore des hommes et de leurs armées, hérité des marches militaires du XVIIe siècle. Ses adaptations modernes ne sont pas à chercher ailleurs que dans les backing band en costume pour parade de pom-poms girls humides ou chez ces fanfarons de fête foraine qui trimballent sous des assauts ultra-symétriques une éthique quasi-militaire à base de poncifs musicaux. Pour qui a étudié la batterie, d’ailleurs, rien n’est plus cruel que le marching-band, ses méchants roulements, ces « papa-maman-papa-maman » sans fin et ses exercices d’une rectitude abusée qui font disparaître tout velléité de feeling sous le diktat de la solennité. Un son qui respire l’honneur et la sévérité, célèbre les décorations des généraux et la victoire des chefs. On ne plaisante pas avec ces choses-là. On fait la guerre.

Pourtant, il y a dans ce style des choses que bien peu ont su mettre en valeur aussi bien que le Youngblood Brass Band, formation sur-cuivrée composée de musiciens originaires des quatre coins des Etats-Unis et finalement établis au fond du Wisconsin. Combinant le savoir rythmique du marching-band (il faut bien reconnaître que certains tambours majors dépassent en technique de caisse claire de nombreux batteurs) au Brass Band, un style développé dans la Prusse du XIXe du siècle lorsque la technologie du piston a permis aux cuivres de dérouler un vrai jeu instrumental, les souffleurs de cette formation ont beau avoir étudié leurs classiques dans les fanfares de lycée, ils n’en sont pas moins tombés dans le punk des années 70, puis le hip-hop des années 80. Une fois les aiguilles ressorties des bras aux alentours de la vingtaine, ces huit personnages armés de cuivres qu’ils maîtrisent à la perfection se remettent à jouer. Et si on faisait une reprise des Ramones ?

Errant dans l’underground, ils contactent Ozone, fédérateur de la scène new yorkaise des années 90 à qui ils réclament un featuring d’El-P. Le producteur de Company Flow ne donne pas suite et le label envoie Mike Ladd. Un mois plus tard, le groupe sort Center.level.roar, détonation cuivrée poursuivie par les flows de Ladd et Talib Kweli, débordant d’une énergie totalement punk qui doit à Fishbone autant qu’aux Clash. Composée de deux trombones, de deux trompettes, d’un saxophone, d’un sousaphone, d’un percussionniste et d’un MC-tambour major-leader-compositeur, Youngblood Brass Band transforme l’essai sur ce second disque, paru cette fois sur leur propre label (Layered), développant une forme de marching band totalement hardcore, contrepoints cuivrés millimétrés et sousaphone réglé comme la basse de Flea. De fait, ce marching band totalement dégénéré propulse à travers ses pavillons une musique stylée qui trempe le folklore américain dans des litres de sueur et revisite les ronds de jambe du dixieland à l’aune des excès rythmiques du hard bop. Un extrémisme qui dépasse en intensité et en originalité un premier opus marqué par un certain classicisme et déculotte du même coup ce style généralement très codifié (à l’exception de quelques formation typées et originales comme Rebirth, Dirty Dozens ou Summer Soul). Enregistré dans une chambre avec six microphones et un laptop, Is that a riot ? convoque ainsi free-jazz, dixieland revisité, mariachi, samba, ultra-punk et influences rock évidentes sans que la composition passe par de simples « riffs », préférant des progressions lyriques soutenues par une cymbale ride et une cloche qui varient les ambiances (But you can’t run, JEM…). Evoluant sur la base de thèmes chers aux Brass Bands (élément central dans la formation du jazz), l’énergie brute qui pointe par endroits à 130 bpm dévaste tout, jette de rares moments de calme à base de balais et trompettes en sourdine sous le feu de déchirures sur-aiguës cloquées rythmiques épileptiques, brouillant les frontières entre jungle, jazz et funk comme en atteste March qui sert d’intro à ce déménagement sonore. Mélange d’excès folkloriques montées en épingle par un jeu instrumental subtil mais clairement rattaché clairement à la musique des jeunes (il est frappant de suivre le jeu du sousaphone, réglé comme celui d’un bassiste bien plus que comme celui d’un cuivre traditionnel), Is that a riot ? est une connexion inédite entre folklore et production moderne, entre New York et la Nouvelle-Orléans. Equilibré entre clair et obscur, sautes d’humeur et calme -jamais plat-, il n’est pas besoin de préciser que l’exécution scénique de ces pièces détraquées se révèle totalement jouissive.