Qu’est-ce qu’une bonne chanson pop ? Deux bonnes idées (un gimmick et un refrain, une mélodie et des paroles, une chanson et un interprète…), là où la plupart des morceaux qui se pressent dans le ventre mou des charts se contentent d’une seule bonne idée. Wait (the whisper song), le premier extrait du nouvel album des stars des strip-clubs d’Atlanta, les Ying Yiang Twins, en comporte trois : d’abord ce son, cette basse nue montée sur des beats étiques, dans un dispositif encore plus minimaliste que le In da club de 50 Cent et Dr. Dre ; ensuite cette idée aussi simple qu’efficace : là où, sur les traces de Lil Jon (qui ne fut pas pour rien dans le cross-over massif des Twins, lorsqu’il les invita sur son Get low de 2003), le hip-hop US se fait de plus en plus braillard, The Whisper song inverse les poncifs et se présente sans doute comme le premier morceau de rap entièrement chuchoté ; et puis il y a ces lyrics, occultés sur le remix constellé de stars en mal de rédemption commerciale (Busta Rhymes, Missy Elliott…), mais que l’on peut savourer dans toute leur stupidité salace sur la version originale de l’album, et qui raviront les tenants de l’école Me so horny du rap. Trois bonnes idées : ce qui fait qu’une bonne chanson pop devient tout à coup une putain de chanson pop, un morceau de ralliement, la sensation d’une saison.

United States of Atlanta pourrait se résumer à ça. Et d’ailleurs, c’est sans doute le sort qui l’attend dans le futur, à l’instar de l’Operation Stankola de Luniz (« l’album de I got 5 on it« ), ou du Gangsta’s paradise LP de Coolio (« l’album de Gangsta’s paradise« ). Pas si honteux, car combien d’artistes peuvent se vanter d’avoir donné au monde ne serait-ce qu’une putain de chanson pop ? Les puristes ont beau s’en foutre, et préférer chérir leurs icônes underground made in Queensbridge ou Frisco, la musique populaire -et le hip-hop est une musique réellement populaire, c’est pour ça qu’on l’aime- n’avance pas exclusivement à coup d’expérimentations ou de manifestes abrasifs ; mais aussi en se trempant dans les eaux boueuses du commerce, et en n’ayant pas peur de le faire (les meilleurs albums de PE, ces Tables de la Loi hip-hop, ne sont-ils pas également leurs albums les plus commercialement populaires, et les plus riches en hits évidents ?).

Donc, allons-y pour les Ying Yiang Twins, alias D-Roc et Kaine, faux-frères de Géorgie absolument pas crédibles pour deux sous, qui dominent depuis près de dix ans ce sous-genre absurde qu’ils prétendent avoir inventé, la strip-music -non pas la musique pour club de strip-tease, mais la musique pour strip-teaseuse-, tout en fricotant avec des artistes aussi respectés des aficionados hip-hop que Britney Spears… Et on s’en fout, en réalité, qu’ils ne soient pas crédibles, comme on se fout de savoir qu’il y a bientôt trente ans, ce n’était pas Plastic Bertrand qui chantait Ça plane pour moi. D’abord à cause de Wait (the whisper song), qui rachèterait bien plus qu’une collaboration avec Britney, et ensuite parce que United States of Atlanta n’est finalement pas si mal, même s’il n’est pas si valable que le Crunk juice de Lil Jon, ce monument joyeux de primitivisme subculturel.

Naturellement, avec 23 titres (dont le fameux remix de Wait et une demi-douzaine de skits), il est bien trop long, et on aura du mal à justifier des crasses sirupeuses comme Bedroom boom, ou ces productions qui sentent bien trop la recette, comme le redondant Pull my hair, remake porno au carré de Wait, ou le détournement sans intérêt du Din daa daa de G. Kranz à peine remaquillé en Shake. De temps en temps, pourtant, on se surprend à prêter l’oreille : sur Ghetto classics, où l’opportunisme simpliste de Mr. Collipark réussit avec Art of Noise ce qu’il a loupé avec G. Kranz, en transformant leur Beat box en comptine de chain-gang ; sur ce Hoes martial, avec Jacki-O ; et même, pour les plus pervers, sur cet étonnant duo avec Adam Levine du groupe Marron 5 qui prétend se placer, pour une fois, du point de vue de la strip-teaseuse. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est déjà ça.

De toutes façons, les Twins eux-mêmes savent très bien ce qu’ils sont ; et quand ils débutent leur CD par un F*** the Ying Yiang twins, ce n’est pas avec l’arrogance d’un Ice Cube ouvrant son premier LP par The Nigga ya love to hate et ses explosifs « Fuck you Ice Cube ! », mais avec juste ce sourire ironique du fumiste qui préempte les insultes qu’on ne lui a pas encore lancées . On l’aura compris : il faut que vous téléchargiez la version originale de Wait (the whisper song). Et, si vous possédez déjà Gangsta’s paradise – The LP et le premier album de Plastic Bertrand (mais seulement à cette condition), vous pouvez aussi acheter, ou copier, United States of Atlanta.