Quel parcours fulgurant, tout de même, que celui de Yaron Herman ! 2004 : on le découvre, âgé de 21 ans, en duo avec Sylvain Ghio à la batterie, formule tout à fait inédite pour une entrée en matière, et qui nous avait arraché à l’époque des cris d’enthousiasme qu’on ne regrette pas (« Peut-être la découverte de ce début d’année », écrivions-nous, en concluant : « A écouter d’urgence et à suivre à tout prix »). La critique est enthousiaste, le fameux producteur George Avakian y va de son petit mot laudateur (« Yaron is the real thing »), bref : c’est une entrée en fanfare. Effervescent, Herman lance alors des attaques sur tous les fronts : côté théorie musicale, il développe une conception personnelle de l’improvisation (la « Real Time Composition », selon son expression et l’enseigne à la Sorbonne dans le cadre des cours de Laurent Cugny) ; côté reconnaissance, il s’offre deux prix au concours de jazz de la Défense en juin 2005 (en solo et avec le groupe Newtopia) ; côté disque, il se lance dans un album solo (il ne fait décidément rien comme tout le monde) et, miracle, pond un petit chef-d’oeuvre sur lequel nous n’avions, là encore, pas tari de louanges (Variations). S’ensuivent tournée planétaire, nouveaux prix (il est sacré « talent jazz Adami 2007 ») et retour dans les bacs avec ce Time for everything enregistré en trio avec Gerald Cleaver à la batterie et Matthew Brewer à la contrebasse (tous deux de la même génération que lui).

Alors ? Alors le niveau ne faiblit pas, ce qui pourrait suffire à résumer les choses. Dans un paysage musical surpeuplé, avec deux trios leaders (celui d’Esbjörn Svensson et celui de Brad Meldhau) dont il s’agit de gérer l’influence (se laisser porter par la vague qu’ils ont lancée sans les singer, être aussi « moderne » qu’eux sans en être de simples imitateurs, sortir des schémas classiques sans forcément tomber dans leurs solutions), le pari de Yaron Herman n’était d’une certaine manière pas mince, surtout vu l’attente qu’ont suscitée ses deux premiers albums ; il s’en sort admirablement, trouvant partout les justes dosages, sans rien perdre de la spontanéité qui faisait toute la force, le charme et la fraîcheur de Variations. Le répertoire a fait l’objet de toutes les attentions : attaque sur Björk (Army of me), conclusion sur Leonard Cohen (Hallelujah), compositions personnelles, arrêt chez Scriabine (Prelude n°2 en si majeur), apogée dans une formidable reprise du tube de Police, Message in a bottle. Côté jeu, on ne sait jamais à quoi s’attendre : effleurements électro à la EST, retour éclair au ragtime, bop dans les clous, morceaux de power-trio façon Happy Apple, tout y passe, sans qu’on n’ait jamais pour autant l’impression de sauter du coq à l’âne (c’est au contraire limpide et logique, impeccablement agencé, comme un script parfait). Des regrets ? Peut-être celui de ne pas entendre le groupe se laisser aller davantage aux escapades free vers quoi ils ouvrent quelques fenêtres au fil du disque, mais c’est bien secondaire ; peut-être celui, aussi, de ne pas être aussi enthousiaste qu’à l’écoute de Variations, tout en l’étant franchement. Mais à ce niveau de plaisir, on ne va pas faire la fine bouche.