Contrairement à ce qu’on pourrait croire en découvrant dans les bacs un double album live de Yann Tiersen, sa maison de disques n’essaie pas de surfer sur la vague Amélie Poulain pour multiplier des ventes déjà colossales. Ce disque a sa raison d’être et que l’on aime le film ou non, il serait injuste de le snober avant de l’avoir écouté.

L’enregistrement n’est pas artificiellement lustré : l’habilleur sonore a pris soin de garder les chuchotements et quintes de toux pour conserver un côté « prise directe ». Même si le choix de l’authenticité est revendiqué, l’ensemble musical est d’une grande élégance et d’une belle netteté. Les morceaux réécrits pour un orchestre de 46 musiciens (onze violons, quatre altos, trois violoncelles, deux contrebasse, une flûte, une clarinette, un hautbois, un basson, un trombone, mais aussi un banjo, deux mandolines, un vibraphone, un clavecin, etc.) gagnent en amplitude sans perdre en intimité. Sur une même chanson (Bagatelle), il arrive fréquemment que l’introduction soit jouée par un seul instrument, rejoint par quelques musiciens, puis que l’orage éclate avec une nuée de cordes au diapason. Crescendo maîtrisé, émotion garantie.

C’est sans doute à ce mélange d’humilité et d’ambition que se mesure le talent de Yann Tiersen. Pour les récalcitrants qui associent ses œuvres aux « coffee table books » de Yann Arthus-Bertrand et à la tiède gorgée de bière de Delerm père, on conseillera, pour une fois, d’oublier Montmartre et les polémiques politiciennes pour goûter à la musique sans arrière-pensée. Le format double album n’est pas démesuré pour embarquer l’auditeur dans la danse. Petit à petit, les notes et les envolées lyriques balaient tout sur leur passage et on se surprend à chantonner les petites rengaines qui semblent être entrées dans l’inconscient collectif.

Comme il s’équilibre miraculeusement entre sobriété et élans débridés, le concert alterne avec bonheur les morceaux de la B.O., ceux de L’Absente et les compositions plus anciennes, du temps où Tiersen était chroniqué dans la rubrique « nouvelle musique ». Aucune rupture de ton entre les instrumentaux qui reposent sur une ligne de xylophone et ceux qui débordent de cordes. Les voix des invités s’enchaînent également entre les applaudissements enthousiastes du public. On retrouve avec plaisir les fidèles Claire Pichet, Dominique A ou Lisa Germano. La reprise de La Noyée de Gainsbourg relève le tout d’une pointe épicée et Yann Tiersen réserve une surprise de taille aux moins rangés de ses fans : le disque se termine par une improvisation de 12 minutes (Février) sur une base expérimentale déstructurée, jazzy, têtue, audacieuse, solennelle, bruitiste, à la fois cérébrale et animale qui impose le respect.

L’entreprise aurait pu se transformer en vulgaire opération marketing mais ici, rien n’est fait pour abuser du client : Yann Tiersen livre un double puisé dans tous ses albums (C’était ici est le titre d’un morceau de La Valse des Monstres, 1995) avec des compositions revisitées à leur avantage, majestueusement sans grandiloquence.