Restless est un disque important pour ses deux principaux protagonistes : pour Xzibit d’abord, qui n’a jamais été si près du sommet après des années de relatif anonymat (du moins à l’aune de ce qu’est aujourd’hui un artiste à succès dans le hip-hop US), mais aussi pour Dr. Dre qui, pour la première fois depuis ses aventures avortées avec 2Pac (l’avorton étant quand même California Love (Remix), excusez), a affaire à plus fort que lui : Xzibit n’est en effet ni Snoop Dogg, ni Eminem, ses deux protégés successifs, MCs exceptionnels qu’il aida à naître au rap (celui des disques de platine) par la grâce de ses beats ; Xzibit, au contraire, est déjà quelqu’un dans le hip-hop californien. Et quelqu’un d’important, artistiquement -sinon commercialement- parlant : il a une carrière (deux albums, de multiples featurings), un following fidèle, une histoire, et la réputation flatteuse mais peu lucrative d’être un « MC pour MCs ». Bref, c’est un peu comme si la Nouvelle Vague (François Truffaut, par exemple) débarquait dans le Hollywood des effets spéciaux (chez Spielberg, par exemple). Une rencontre du troisième type, donc.

En guise de clin d’œil aux fans, l’album commence par un skit produit par Sir Jinx, l’architecte du remarquable 40 Dayz & 40 Nightz, le précédent album d’Xzibit, dont les atmosphères sombres rappelaient par moments RZA. Mais dès le deuxième morceau, les choses sont mises au point : les cordes crépusculaires ont fait la place à une production synthétique et nette, aux basses ronflantes, lorgnant plutôt vers les ambiances funk 80s. Xzibit a quitté son monde à lui ; il est de retour à L.A., et L.A., en ce début de nouveau millénaire, est à Dr. Dre. Tous les titres sont donc professionnels, propres, souvent terriblement efficaces : X, avec son refrain scandé comme un chant de guerre ; Alkaholik, produit par un Erick Sermon à l’école West Coast, qui canalise le joyeux bordel des « Liks » en quelques boucles rappelant Chronic 2001 ; Don’t approach me, avec Eminem, qui rejoue en sourdine le What’s the difference de l’année dernière ; ou encore Best of Things, bien à la manière martiale du Dre d’aujourd’hui. Il reste que le contenu de cet album (bikinis, grosses voitures et spiritueux) surprend un peu, venant du MC qui contemptait les « Niggas in the rap game / Only for the money and fame » dans Papparazzi, en 1996, et montrait l’envers du décor gangsta dans le clip de What U see is what U get, en 1998.

Pourtant, on aurait tort de croire que les synthés et l’univers de Dre ont complètement étouffé Xzibit ; ses guests -KRS-One, Erick Sermon (le « E » de EPMD, faut-il le rappeler), De Fari, l’intello du hip-hop californien- témoignent de son indépendance vis-à-vis des canons du rap post G-Funk (représenté ici par DJ Quik, Snoop Dogg et Naté Dogg). Ce serait oublier aussi que Dr. Dre n’a même pas produit la moitié de cet album. Et que Soopafly et Mel-Man, qu’on retrouve ici après avoir déjà entendu leurs beats, notamment chez Snoop Dogg, avaient déjà produit quelques titres de 40 Dayz & 40 Nightz. Xzibit sait ce qu’il fait en faisant cet album-là comme cela, aujourd’hui : il se sait capable de jouer dans la cour des grands ; il est prêt à faire ce qu’il faut pour y arriver. Le problème, en réalité, vient de ce qu’il y est arrivé tellement bien que cet album est tellement réussi dans son genre, qu’il en vient à faire peur : l’avenir du rap est-il obligatoirement cela (tout comme, à partir de 1976, l’avenir de la musique noire fut obligatoirement disco) ? La réussite incontestable de ce disque marquerait alors un échec plus général pour le hip-hop, dont la force a toujours résidé dans sa capacité à échapper, précisément, à une standardisation rapidement stérilisante.