La (modeste) tournée française de l’Albert Ayler Project 2000 de Joe McPhee fut l’un des événements qui auront marqué cette première année du siècle d’une pierre blanche à la mémoire de l’un de ceux qui devaient décider de l’avenir d’une musique dont on n’a cessé de proclamer la mort. Il suffit d’écouter le présent hommage, tiré d’un concert de la cuvée 97 de l’Empty Bottle Festival (Chicago) pour prendre conscience de la vitalité d’une filiation qui ne se borne pas à perpétuer la lettre, mais reconduit vigoureusement l’esprit d’une musique qui, comme aucune autre, a célébré la vie. Quand d’aucuns s’attachaient à l’oublier ou à la déconstruire, Ayler s’est attaché à magnifier la mélodie. On le prit pour un naïf. Il avait simplement trouvé la clé -un œuf de Colomb, à vrai dire- pour redonner sens à ce qui, en ces années soixante, subsistait comme un élément embarrassant pour certains, négligeable pour d’autres. Il choisit au contraire de s’y vouer corps et âme, de se perdre amoureusement en elle. Truth is marching in, Angels et Bells sont au programme du deuxième set du groupe Witches & Devils (nom d’une célèbre composition du saxophoniste) conduit par Mars Williams.

Quelques-uns des meilleurs musiciens de Chicago se sont associés pour former ce groupe emblématique de cette autre scène dont on semble seulement découvrir depuis peu l’activité sans rapports avec celle de l’AACM. Le seul deuxième set est ici restitué. On cueille les musiciens en plein vol, tendus sur leur trajectoire ; la fidélité leur est une arme sûre dès lors qu’ils habitent de toute leur subjectivité un univers choisi où tiédeur et calcul n’ont pas droit de cité. L’intelligence du dispositif, conforme aux innovations de leur inspirateur, dispose en strates une matière dense mais jamais confuse. Deux saxophones s’échauffent l’un à l’autre, contrebasse et violoncelle tissent un deuxième niveau, des claviers électroniques suggèrent les clavecins ou célestas dont Ayler s’entourait et s’immiscent discrètement dans ce réseau comme un filigrane, le nimbent d’une aura persistante. Ces couches glissent les unes sur les autres, se couvrent et se découvrent, leurs trames superposées déploient un jeu de moires dans lequel la mélodie se drape et prend feu. Intensité et paroxysme ne sont pas synonymes. La deuxième pièce, exemplaire à cet égard, met en scène un dialogue des saxophones. Le ton s’élève, débouche sur un impressionnant concert de sifflements que l’orchestre entier épaule et relaie jusqu’au coup de cymbale qui le fige. Alors s’avancent à découvert d’opulentes fritures électroniques dignes du Sun Ra le plus inspiré. L’épique le cède au recueillement. Le set s’achèvera sur la marche écossaise de Bells, réussissant une sortie qui ne doit rien au théâtre.

Ken Vandermark, Mars Williams (ts), Jim Baker (kbds), Kent Kessler (b), Steve Hunt (dm). Live, Chicago, 27 août 1997