Après le hit Beau mot plage de ce début d’année, sa house séminale, sa basse entêtante, ses choeurs synthétiques et ses remixes baléariques, voici Rest, premier album d’Isolée, le projet de l’Allemand Rajko Müller. Traduit de l’anglais, « Rest » signifie à la fois repos, pause, reste et silence. Faut-il voir dans cette polysémie et dans Rest, comme le suggère le très heideggerien dossier de presse, « ce qu’il reste de la musique électronique si vous faites une pause, mettez les choses en suspens, en état d’indécision, par quoi doit advenir une re-décision, une re-détermination » ? Isolée, désolé, ne marquera sans doute pas un « avant » et un « après » dans l’histoire de la musique électronique, mais on doit reconnaître à ce projet une réelle ambition, celle de faire fusionner la musique de danse, purement rythmique, et celle plus expérimentale, qu’on a pu dénommer « intelligente ». Entre la house hédoniste de funk filtré et les expérimentations sonores vouées à l’écoute solitaire, Isolée trouve le juste milieu, et propose une techno subtile, aux rythmiques rondes, ténues mais tenaces, qui insinuent avec délicatesse le battement de la mesure, jusqu’à animer notre corps.

Musique « animée », donc, en ce sens qu’elle semble posséder une âme. Bien qu’étant issue de machines, la house respectueuse d’Isolée évoque l’homme-machine kraftwerkien dans Logiciel (répétition mécanisée du mot « Logiciel » sur un rythme electro) ou l’intelligence artificielle qui nous parle, dans I owe you : « You are the one who listen, I owe you some reward ». La machinerie électro-acoustique nous témoigne sa reconnaissance, à travers une voix vocodérisée, et c’est comme si elle prenait vie. Inquiétante étrangeté de la voix synthétique qui énonce « Music makes me alive » (Music) : Rest semble hanté, habité, par un esprit qui nous parle sans intermédiaire, depuis la musique même.

Le disque progresse, de la froideur synthétique et martiale des premiers morceaux jusqu’aux variations presque jazz de Alleinunterhalter (on pense au Herbie Hancock de Sextant digressant sur un vieux synthé Arp) ou de Djamel et Jamshid (plus proche des Etudes australes de John Cage), conservant cependant tout du long cette pulsation, ce battement séminal de minimal-techno. Ainsi Rest semble évoluer, de la simplicité du langage binaire à la complexité rhizomique du système neuronal, comme un programme évolutif. Ce sentiment de « life in progress » rend ce disque captivant et nous enjoint à envisager avec confiance les rapports futurs entre l’homme et la machine.