Décidément ! Après le splendide Freedom fighters du trio de Ronnie Lynn Patterson, les amateurs de trio piano / basse / batterie sont comblés en cette fin 2008. La première chose qui frappe dans ce nouveau disque du bassiste Jean-Philippe Viret, comme pour les précédents, c’est (outre la splendide photographie de la pochette, signée Grégoire Alexandre et Alice Litscher) le titre, qu’en bon littéraire il soigne comme il le mérite : après Considérations, Etant donnés, L’Indicible et Autrement dit, voici donc Le Temps qu’il faut, placé (c’est le seul reproche qu’en lecteur on lui fera, mais c’est une toute autre histoire…) sous un exergue de Nancy Huston (Prodige). D’emblée, aux premiers instants du premier morceau, Peine perdue, l’auditeur est saisi, irrésistiblement emporté dans une espèce de marche noire et trouble dont l’atmosphère obsessionnelle et mélancolique imprégnera tout l’album, lui donnant d’entrée de jeu sa poésie sombre, sa délicatesse inquiète. Fabrice Moreau a remplacé ici Antoine Bainville à la batterie ; les écoutes comparatives permettront de dire, peut-être, ce que ce sang neuf a infléchi dans la musique du trio, les directions nouvelles qu’il l’a amené à prendre ou dans quoi il l’a confirmé.

En tout état de cause, on ne peut que s’incliner devant la totale réussite de ce disque dont il est inutile de vanter des qualités musicales dont on se doute bien qu’il les possède (cohésion du trio, évidence des développements improvisés, élégance, simplicité et lisibilité des compositions, refus de la virtuosité mais, tout aussi bien, de la lenteur affectée, son contraire) ; insistons plutôt sur la magie proprement cinématographique de cette musique qu’on dirait écrite toute exprès pour les images qui à son écoute se forment spontanément dans l’esprit (« Esthétique ou pathétique ? », précisément, a été écrit pour Il était une fois… le salariat, un film d’Anne Kunvari), sur son étonnante capacité d’envoûtement, sur l’intensité discrète et magistrale de thèmes qui n’ont l’air de rien à la première écoute mais dont, comme cela arrive parfois, on garde en soi une trace plus profonde que prévu, et qui pousse dès qu’on passe devant sa platine à appuyer de nouveau sur « play » pour comprendre enfin ce qu’il y a là-dedans de si attirant.