Cinq cantiques byzantins composés voici presque deux millénaires et invariablement chantés depuis dans les églises orthodoxes, interprétés ici en solo par un pianiste classique formé à la Julliard School par Rudolf Serkin : on est a priori loin du jazz, même si l’on a pu entendre Tsabropoulos au côté d’Arild Andersen et John Marshall voici quelques années dans un projet déjà produit par Manfred Eicher. Reste que si le répertoire constitue une découverte pour l’amateur de jazz, sauf à le supposer versé dans la musique grecque ancienne, la manière, elle, n’est pas sans une forme de lyrisme et de spontanéité directement parents avec la musique improvisée. Tel est d’ailleurs le propos avoué du pianiste, qui depuis longtemps souhaitait « projeter un éclairage nouveau » sur une tradition musicale séculaire et souligner, en exploitant « son côté intemporel et sa simplicité excessive », sa portée universelle. Le pari est réussi : avec une sérénité parfois austère, où la solennité ne le cède jamais à l’emphase, Tsabropoulos joue avec une splendide sobriété sur la dimension répétitive et l’ampleur majestueuse des cantiques byzantins retenus, transformant une musique traditionnelle au fort contenu religieux en une méditation d’une paisible beauté.
Dans ce qu’il présente fort justement comme une « mosaïque polychrome », « le texte musical se déploie en phrases amples, répétées comme des périodes pour ainsi dire figées, parfois sous leur forme originelle, parfois avec des variations pianistiques ; l’entrecroisement des modes et des lignes mélodiques mène à de fréquents bonds soulignés, par exemple, par un passage se terminant en quarte tandis que le prochain commence une octave plus haut. » A l’apport personnel conféré aux morceaux par le pianiste s’ajoutent trois compositions originales influencées par la musique byzantine mais manifestement mêlées à des éléments d’origine plus moderne. Encouragé par Chick Corea, partenaire du trompettiste Markus Stockhausen et du bassiste Arild Andersen, le très classique Vassilis Tsabropoulos parvient à entendre et pratiquer le jazz (à tout le moins l’improvisation) sans renier son bagage académique et en préservant une singularité et une créativité tout à fait étonnantes. Akroasis intrigue et fascine ; l’apparente simplicité des compositions et du jeu cache une infinie variété de nuances et une grande complexité dans la construction. Ses répétitions, ses modes étranges et sa tonalité générale séduiront les amateurs de piano solo autant que les fanatiques de musique minimaliste et d’expériences trans-stylistiques.