C’est à ce genre de détails qu’on se rend compte que le hip-hop prend vraiment de l’âge : après les pionniers des block parties, puis les hérauts du Golden Age 1986-1990 et les superstars de l’ère gangsta, c’est maintenant une quatrième génération de rappers que nous voyons s’essouffler, celle qui a grandi dans l’ombre du matérialisme des années 2Pac-Puffy. Ses héros s’appelaient Mos Def et Talib Kweli, ses grands frères Organized Konfusion et Black Moon, ses parrains Kool Keith et Kool G Rap, ses bad boys Company Flow ; tous se retrouvaient dans leur base secrète de Downtown Broadway, dans les locaux de Rawkus Records, un label qui commença par essayer d’acclimater la jungle à NY, pour devenir le symbole d’un hip-hop pensant à autre chose qu’aux costumes Armani et à la discographie de Police. Et de fait, il y eut un temps, dans la seconde moitié des années 1990, où l’on pouvait acheter les disques siglés Rawkus comme les disques marqués Def Jam en 1988 : les yeux fermés. On était toujours certain d’y trouver sa dose quotidienne d’un hip-hop carré et aventureux, loin des préciosités du rap mainstream d’alors. Mais c’est bien fini.

La chose déplaisante qui se présente aujourd’hui sous l’étiquette Soundbombing, et qui prétend succéder à deux premiers opus parfaits, reprend en effet tous les signes de la boursouflure commerciale qui affectait déjà le pauvre deuxième volume du Lyricist lounge -mais en descendant encore un cran au-dessous. Chacun sait que le problème du Lyricist lounge II se résumait à ces huit simples lettres : N.A.T.E.D.O.G.G. Car si on appréciait les productions Rawkus jusque là, c’était précisément parce qu’on était certain de ne jamais y entendre Nate Dogg. Et voilà maintenant que ce Soundbombing III nous offre Zap Mama ! Tout ça (Body rock, Universal magnetic, Space cadillac…) pour ça, a-t-on envie de dire. Si on nous avait dit en 1996 que les choses se termineraient ainsi, on ne se serait pas imposés Funcrusher plus en boucle pendant deux ans, on serait restés sagement à écouter les albums de Warren G, et on en serait au même point aujourd’hui. Ainsi donc, c’est à cela que Mos Def et Talib Kweli songeaient quand, du temps de Black Star, ils nous faisaient croire à leur rêve d’une nouvelle Great Black Music : à une musique dont tous les angles auraient été limés à la meule industrielle, vendue sous vide dans les supermarchés d’Universal ? Sans doute pas, et c’est bien le problème : ce disque, derrière sa production sucrée, a le goût âcre des trahisons et du matérialisme cynique de l’époque. C’est Lesly-du-Loft au pays de Dj Premier.

Soyons clairs : si vous avez envie d’entendre Kool G Rap relooké Zapp & Roger, Talib Kweli poser sur une production faiblarde de Dj Quik, Mos Def se la jouer Freak daddy (air navré), si ça vous amuse d’avoir un disque rap/R&B portant le sigle Rawkus, ce disque est fait pour vous. Si en revanche, vous chérissez précieusement vos 12 » de Sir Menelik et Reflection Eternal, si vous vous souvenez de ce que fut du Lyricist lounge première époque, si vous piaffez d’entendre le LP de RJD2 sur Def Jux, allez plutôt voir du côté de J-Live ou d’Edan.