Dans l’histoire de la musique populaire afro-américaine, Detroit (Motown), Memphis (Stax) et New York (Atlantic) sont les berceaux officiels de la soul music. A côté de ces grandes réussites artistiques et commerciales, La Nouvelle Orléans n’a connu qu’une nébuleuse de petits labels éphémères incapables de diffuser la musique locale hors de la Louisiane. La compilation New Orleans funk rappelle qu’Eddie Bo, Allen Toussaint et les Meters pourraient revendiquer une place importante dans la généalogie du funk, dont la paternité est jusqu’ici exclusivement attribuée à James Brown. Le godfather of funk n’est-il pas Professor Longhair, pianiste influencé par la syncope des rythmes afro-caribéens ? Big Chief (1964) est incroyablement funky pour l’époque, avec son riff de piano délié (joué avec trois doigts !), entrelacé par un rythme de parade particulièrement festif. L’esprit de l’Afrique a toujours soufflé plus librement qu’ailleurs à La Nouvelle Orléans, depuis ses rassemblements d’esclaves sur Congo Square jusqu’aux fanfares de Mardi Gras.

Le son de La Nouvelle Orléans n’a rien à voir avec la soul orchestrale de la Motown. Il est plus proche des productions brutes de Stax, même si le jeu de Booker T. and the MG’s reste très conventionnel comparé aux tueries funk des productions d’Eddie Bo ou d’Allen Toussaint. Eddie Bo a produit un nombre impressionnant d’hymnes rare-groove 70’s (Can I be your squeeze de Chuck Carbo, Hip drop des Explosions), tandis qu’Allen Toussaint, le producteur de Lee Dorsey (le lancinant Get out of my life woman) et de Dr John (Desitively Bonnaroo), ne se présente plus. Son groupe de studio, les légendaires Meters, fut une des meilleures sections rythmiques des 70’s avec celle des JB’s. Le duo George Porter Jr. et « Zigaboo » Modeliste donnait un beat à la fois extrêmement carré et très libre dans la syncope. Leur chef-d’œuvre, Just kissed my baby, en est l’exemple le plus abouti. Plus méconnus, les Gaturs de Willie Tee sont à l’origine de deux merveilles absolues, le single Gatur bait et le LP des Wild Magnolias, une tribu de « Mardi Gras Indians ». Si vous n’avez pas l’occasion d’aller chiner chez les disquaires de Crescent City, les 24 titres de New Orleans funk sont alors une mine de breakbeats incontournables. Nothing but the funk.