Enregistré en direct au cours d’une cérémonie funéraire Ewe au Ghana, un ensemble de sept percussionnistes entourés des participants à ces rites vaudou se trouve enrôlé dans un catalogue réputé d’avant-garde, initié par l’inénarrable John Zorn et sous emballage d’Ikue Mori. Méfiance, scepticisme ? Ils seraient mal placés. Pas de « discours » récupérateur, ni même l’ombre d’une mise en perspective qui justifie cette publication entre le Joe Maneri de 1963 et Naked City. Sans doute suffit-il d’écouter pour comprendre.

Peaux et fûts résonnent dans une grande unité de timbre tempérée par la variété des tessitures. La superposition des rythmes et des courants d’énergie génèrent un flux multiple d’où surgissent des formes qui se laissent identifier un instant avant de se dissoudre dans un tissu continu et vivant. Absorbées par ce fond mouvant, elles y demeurent pourtant, trouées dans l’ombre, percées dans un labyrinthe, métaphore de ce monde intermédiaire où communiquent la vie et la mort. Ce jeu complexe de plans sonores à l’équilibre sans cesse renouvelé par de savants tuilages, commun d’ailleurs à toutes les polyrythmie d’Afrique, nous plonge dans une réalité équivoque où tout est à la fois piège et repère. La merveille est que la frappe, le coup, le choc forment l’unique matériau de ces glissements, métamorphoses, intensités croisées, qui sont autant d’effets du continu. Comme si le perpétuel échange du fond et de la forme affectait la matière même en laquelle il s’opère. Les cris de la foule s’assimilent alors tout naturellement à la musique pour élargir son cercle aux dimensions du monde.

Ces rythmes qui ont traversé les siècles et l’Océan pour resurgir en Haïti ont certes une histoire, qu’il serait malaisé, d’ailleurs, de reconstruire. Au-delà d’elle pourtant, ils font écho. Une musique de transe, qui vise à la possession -dans le cadre néanmoins strict d’un rituel-, qui brouille le sentiment des limites corporelles, réforme nos schémas perceptifs d’Occidentaux épuisés par un constant laminage, en appelle à une autre écoute, à un autre sentiment du temps, ne peut qu’alerter nos oreilles. A l’heure des raves et de l’ecstasy, ce qui relevait il y a peu de l’ethnomusicologie apparaît maintenant comme notre vivant contemporain. Encore un leurre de la  » modernité « , certes, mais qui, cette fois, pourrait bien tourner à l’avantage de la  » tradition  » : elle a une sacrée longueur d’avance.