Un an et demi après le Volume 1, Def Jux repart à l’assaut des brèches que ses premières attaques ont laissé béantes dans les murailles FM du hip-hop contemporain. L’attaque était prévue (on retrouve ici quelques titres annoncés sur la pochette du Volume 1), et attendue par tous ceux qui ont fait de Def Jux le label à suivre en 2001 -et ils furent nombreux, les crissements digitaux d’El-P ayant séduit plus d’un amateur d’electronica rugueuse, bien au-delà des fans de hip-hop, « underground » ou non.

Le début place la barre très haut. Les Weathermen (El-Producto aka El-P, Cage, Masai Bey, Camut Tao et Copywrite) vous plantent immédiatement dans le ventre la lame rouillée de leurs nappes tournoyantes, avec Same as it never was, noir clin d’oeil au Once in a lifetime des Talking Heads. Les rimes filent comme des traits dans le brouillard électronique, pour s’échouer dans le bruit de compteur Geiger de Dead water d’Aesop Rock. Là où les Weathermen sifflaient comme une machine à vapeur au bord de la rupture, Aesop Rock construit au contraire un morceau à la mécanique bien huilée, dont les pistons se soulèvent en rythme, entraînant avec efficacité et concision son flow anguleux et fluide.

Tout n’est pas de ce niveau, cependant. Camu Tao alourdit l’atmosphère avec des boucles vrombissantes scandées d’un Bitch ! syndical, sans vraiment convaincre, tout comme les Y@k Ballz, qui, synthétiseurs tranchants et claviers répétitifs à la Mike Oldfield, n’atteignent jamais la glaçante puissance des productions d’El-P pour Cannibal Ox. RJD2, déjà sur le Volume 1, sert un instrumental aux accents johnbarryens, agréable mais qui passe comme un interlude permettant de respirer (rappelant le « phew ! ten minutes… » à la fin de la première face de Fear of a black planet de Public Enemy). Mr. Lif, quant à lui, fournit un Fulcrum (insight mix) new school au son plus classique que son Enter the colossus EP de l’année dernière, et qui ne laisse guère de souvenir à l’auditeur.

Mais les audaces de Masai Bey ou Atoms Family viendront heureusement rassasier l’attente des fans. Avec son Paper mache brinquebalant sur un breakbeat malingre, Masai Bey est allé fouiller dans les armoires du Bomb Squad pour en récupérer des boucles qu’il a ensuite cisaillées, grattées, retournées, ralenties, accélérées, offrant quelque chose comme le son du premier LP de Public Enemy, mais dans le désordre. Avec son intro à la Cybotron, Mic Molest d’Atoms Family (où l’on croise les Cannibal Ox) décolle pour Detroit avant de tourner ensuite en pilotage automatique au dessus des zones industrielles désertes de la Motor City, le temps pour l’équipage de se payer un peu de bon temps avec l’hôtesse (preuve sonore à l’appui). Plus classique, Rob Sonic s’inscrit bien dans la ligne (brisée) du label, offrant un Failure ugly centriste, qui évoque le S.T.R.E.S.S. d’Organized Konfusion, à équidistance entre l’aridité electro des expérimentations les plus extrêmes du label et la ligne devenue par trop évidente de Rawkus.

El-P conclut l’album sur le crépusculaire Stepfather factory. Et, alors qu’on l’attendait de nouveau dans le registre robotique qu’il affectionne, la moindre des surprises n’est pas de constater que les lourdes basses qui appuient son flow, volubile comme celui d’un commentateur boursier sur Bloomberg TV, évoquent plutôt les guitares plombées des Melvins ou de Earth, aux débuts souterrains de Sub Pop (dont il est pourtant probable qu’il n’a jamais entendu parler). Le plus surprenant étant que tout cela a du funk (un peu), malgré tout. Et c’est précisément cela qu’on attend d’un disque siglé Def Jux : être surpris.

Ce Volume 2 est riche de promesses. Espérons qu’elles se concrétiseront comme en 2001, à la suite d’un Volume 1 tout aussi emballant. Rendez-vous en mai, pour Fantastic damage, l’album solo d’El-P.