La période de Noël est un moment privilégié pour observer comment les mythes anciens et les modes actuelles se confrontent et finalement cohabitent dans une modernité un peu orpheline. De nombreux musiciens (les Beach Boys, Phil Spector) ont réactualisé et se sont réapproprié la tradition des chants populaires de Noël (carols, gospels) à travers la musique pop commerciale. Noël se célèbre en musique depuis les grands compositeurs classiques (Haydn, Mozart) jusqu’à l’intimité contemporaine, où l’on s’offre de jolies compilations, playlists évocatrices des moments passés (l’année qui vient de s’écouler, le bilan) et de ceux que l’on fantasme (les promesses hésitantes du futur, les fêtes à venir). Le marketing l’a bien compris : on trouve un florilège de rééditions, de coffrets cadeaux, de Best Of de l’année sur les têtes de gondoles. Le père Noël est un sacré commercial (sa représentation actuelle a bien été inventée pour une publicité Coca Cola).

La musique est cependant toujours une des plus belles choses à offrir, encore plus lorsqu’on la fait soi même. Il y a huit ans, Sufjan Stevens, chanteur et compositeur folk chrétien que l’on a mille fois salué ici – (Come on feel the) Illinoise ! était notre album de l’année en 2005 -, donnait à sa famille et à ses amis, pour les fêtes, un CD regroupant des hymnes de Noël et ses propres compositions traitant de la nativité. Il poursuit depuis chaque année la tradition qu’il a créée pour les siens et a rendu ces chansons accessibles au public en les compilant dans le coffret Songs for Christmas en 2007. Certains artistes de son label partagent avec Sufjan les mêmes inspirations musicales et l’esprit de Noël. Le morceau Home for Christmas de Half-Handed Cloud ou ce nouvel album de The Welcome Wagon évoquent le Put the lights on the tree de Sufjan Stevens et illustrent ce même mouvement des âmes et l’influence quasi prophétique de ce dernier sur ses artistes.

La plupart des chansons de Noël de Sufjan Stevens sont nés de sa collaboration avec son ami le révérend Vito Aiuto, originaire du Michigan. On ne s’étonne pas dès lors que Sufjan Stevens ait arrangé et produit le superbe premier album du duo The Welcome Wagon, composé de Vito Aiuto et de sa femme Monique. On entendra Welcome to The Welcome Wagon comme l’expression du désir de ce couple d’intensifier leurs liens : celui d’un mari et sa femme autant que celui de croyants avec leur Dieu : « Your voice says I am not alone, like the man used to say, you made my day » (You made my day). Il se rapproche en cela d’autres couples de musiciens composant ensemble et l’un pour l’autre des messages universels (Bill And Gloria Gaither ou Mom And Pop Winans pour la « Church Music », The White Stripes ou The Kills pour le profane). A l’écoute de leurs chansons, folk boisée entraînante, choeurs de mariés, cantiques pop, voilà que l’on se retrouve dans une certaine communauté intemporelle, emporté par une vague ascensionnelle conduisant vers un ailleurs fictif : dans des jardins suspendus à des grappes de notes, ou sur un étang gelé à patiner artistiquement en lançant des confettis, selon les confessions. On se réjouit simplement de la délicatesse des mélodies, de la douceur des voix, de la puissance d’un choeur gospel, de l’enthousiasme des claps, de la simplicité rythmique, de l’impertinence d’une ligne de banjo et de la majesté des cuivres.

« To confort you », dit l’artwork réalisé par Monique, car c’est bien de cela qu’il s’agit : une musique réconfortante qui concentre un large spectre d’influences. Welcome to The Welcome Wagon mélange différents horizons sous un même ciel : de la musique chrétienne (psaumes du nouveau testament, Lenny Smith), de la pop folk (rappelant Swan Lake, Efterklang, Fleet Foxes), mais aussi des reprises de tunes cultes comme le Jesus du Velvet Underground ou Half a person des Smiths auquel ils donnent un nouveau souffle. Car la musique de The Welcome Wagon, murmurée ou tonitruante, est une musique du souffle. Celui des instruments à vents, du choeur gospel, de l’inspiration divine, la fameuse pneuma qui désigne à la fois le souffle et l’esprit de Dieu.

La musique chrétienne née dans les années 60 avec le Jesus Movement s’est « démocratisée » et diversifiée au fil des décennies au point qu’il y a désormais un classement dans le Billboard américain. La quantité n’impliquant pas la qualité, les tentatives musclées d’évangélisation par la musique populaire ressemblent le plus souvent aux lavages de cerveaux que font subir aux new born christians les pires télé-évangélistes protestants, fondant leur prosélytisme sur les passions tristes. Au contraire, Welcome to The Welcome Wagon trouve sa force dans l’absence totale de prosélytisme et d’hystérie dans la ferveur religieuse.

Se priver de ce gracieux album pop pour des raisons religieuses serait donc bien fâcheux et l’oubli que la musique est toujours un acte de création et parfois un acte « au créateur ». Brian Wilson voulait faire de Smile une « Teenage symphony to God » ; Bach disait que « le but de la musique devrait n’être que la gloire de Dieu et le délassement des âmes ». Et Cioran répondait : « Sans Bach, la théologie serait dépourvue d’objet, la Création fictive, le néant péremptoire. S’il y a quelqu’un qui doit tout à Bach, c’est bien Dieu »… C’est encore Noël avec The Welcome Wagon.