Encore plus loin, encore plus fort, encore plus haut et toujours sans filet ! Au risque de se prendre les pieds dans les cordages (pas dans le tapis bien sûr !), Neil Hannon se livre à un exercice de style encore plus périlleux qu’à l’accoutumée. Qu’il était passionné par la musique des années soixante, nous l’avions remarqué depuis son Liberation de premier album. Mais là, c’est décidément plus que plus de plus de tout. Hormis le single Generation sex qui ferait pendant, de manière très sixties, au This is hardcore de Pulp (Neil et Jarvis s’apprécient mutuellement), dès le deuxième titre, Thrillseeker, les références et inspirations explosent. Quelques trilles de flûte nous rappellent le générique de Mission Impossible de Lalo Schifrin alors que le riff de piano nous renvoie au James Bond de John Barry. Rien que cela en un seul titre… et qui n’est qu’au début de l’album !
Commuter love nous envahit de sons d’accordéon (les premiers chez Divine Comedy), de piano et de guitares saturées devant des cordes menaçantes avant le refrain superbement chanté (Neil a encore fait des progrès en intensité comme en voix de tête) et le solo déchirant à la six cordes. Sweden, quant à elle, se réfère aux compositeurs romantiques scandinaves et à Kurt Weill avec ses montées et descentes chromatiques, son choeur populaire et ses trompettes d’une inquiétante stridence.
Dire que la tension retombe avec Eric the gardener serait un affront puisque ce titre n’est rien d’autre que l’équivalent d’une forme cantate avec exposition, numéros, reprises de thème et surtout… surtout… des violons comme on en a rarement (voire jamais) entendu dans toute l’histoire de la pop music. Seul Craig Armstrong, lui-même inspiré de Georges Delerue, s’est risqué à ces digressions techno en longueur sur des tapis de cordes moelleuses. Encore plus loin, encore plus fort disions-nous, ce morceau de bravoure réussit la gageure de se renouveler sans cesse pendant ses huit minutes, ce qui nous éloigne de la crainte de Neil Hannon de sombrer dans la musique progressive (ou alors ce serait l’équivalent de celle d’un Robert Wyatt ou du Ailleurs de William Sheller). C’est ensuite la ballade de comédie musicale National express qui nous accompagne avec ses choeurs très fifties (utilisés en pédale pendant la longue coda) et son impression grande époque hollywoodienne (tirant sur Supertramp à la fin !).

Life on earth nous renvoie aux sonorités mêlées de Commuter love et Sweden. Quelques mots de français devraient ravir les jeunes Frog Princesses pour lesquelles Neil a un faible non dissimulé. Une chanson relativement courte qui illustre à point nommé l’homogénéité de ce chef d’oeuvre irlandais. Et c’est reparti pour un long voyage avec The Certainty of chance et ses conclusions de phrases dans le haut du clavier. Si cette chanson n’est pas Tonight we fly, elle n’est pas loin de l’approcher, de même qu’elle n’est pas loin des grandes plages de violons de la grande époque de John Williams (Rencontres du troisième type après Mission et Bond). Retour à la comédie musicale avec Here comes the flood. Neil Hannon est prêt pour les scènes de Broadway et nous le prouve avant d’avoir le courage de se lancer. Qu’il n’ait aucune crainte d’aller plus loin dans cette vaine, nous le suivrons aveuglément. D’autant qu’il est aussi capable de revenir à des formes plus classiques chez lui avec Sunrise, ce qui ne perdra pas complètement l’auditeur de ce premier joyau de la rentrée avec lequel, sans aucun doute, nous passerons aussi l’hiver, non loin de Perry Blake et de Mark Hollis.
« Les temps sont difficiles » comme disait Ferré, il va falloir à chaque fois choisir entre ces trois diamants. A moins d’avoir un bon chargeur dans sa platine !