On savait nos deux frères chimiques raides dingues des Beatles mais pas au point de livrer, comme seul feu le duo Lennon-McCartney pouvait se le permettre, un album hautement schizophrène et dichotomique. Surrender est en effet un album qui veut tout et son contraire, un album bourré de paradoxes et pourtant… c’est de loin l’œuvre la plus aboutie de Tom Rowlands et Ed Simons, l’hydre à deux têtes des Chemical Brothers.
Si on voulait jouer les Sigmund Freud d’opérette, on pourrait voir derrière ce titre, Surrender, une âpre volonté de « déposer les armes » : après le carton de Dig your own hole, on pouvait s’attendre à ce que les Chemical Brothers changent de cap et laissent de côté le Big Beat, ou plutôt le crossover techno/alt-pop, mouvement dont ils s’étaient imposés comme chefs de file sans la moindre contradiction. Effectivement, Surrender se permet le luxe de sonner « différemment » tout en restant identifiable dès la première écoute.

Plus électro, mais aussi plus pop, Surrender donne l’impression d’un seul corps qui voudrait partir dans deux directions différentes, et qui y parvient, comme par miracle. Toujours sur la corde raide, mais sans jamais la moindre fission, malgré le côté franchement casse-gueule de l’entreprise. Évidemment, les blitzkrieg-beats, les loops furieux sont toujours là, faisant de Surrender une machine de guerre ultra-efficace pour partir à la conquête des dancefloors, mais dès le premier morceau, syncopé et minimaliste, Music : response, le carcan « pogote-et-bouge-tes-fesses » semble exploser en morceaux. Il y a une réelle volonté d’étendre la formule chimique à une vision plus large de la techno, d’Aphex Twin (l’intro de Dream on) à… Jean-Michel Jarre (les afféteries asio-synthés de Got glint), une volonté d’embrasser un genre dans son intégralité, sans cette tristounette distinction entre bon et mauvais goût qu’affectionnent les coincés du zguègue.

Pas la moindre trace d’un descendant de Block rockin’ beats donc sur Surrender : le premier tube, l’inquiétant Hey boy, hey girl semble définitivement planer vers d’autres sphères, moins rentre-dedans, plus réfléchies. Par contre la pop éthérée/plombée de Setting sun a fait pas mal de petits, notamment l’excellent Out of control : normal, toutes ces guest-stars (Mazzy Star, Mercury Rev, New Order, le hooligan briton Noel Gallagher), il fallait bien leur faire pousser la chansonnette… En bons bidouilleurs-DJs complexés, les Chemical Brothers pillent allègrement le passif anglo-saxon de la brit pop à grands renforts de moogs, période psyché-summer of love (il n’y a qu’à voir cette pochette woodstockienne), de la fanfare Fab Four de Sergeant Pepper aux déliquescences vertigineuses de Syd Barrett. Cela nous donne des numéros de voltige assez impressionnants (Let forever be), ou de reposantes sucreries (Asleep from day, minaudé par Hope Sandoval). On jugerait presque entendre une guitare acoustique sur le paisible Dream on, qui clôt Surrender ! D’ici à ce que le quatrième album des Chemical Brothers soit « unplugged », il n’y a finalement qu’un pas…