The Black Heart Procession est l’une de ces formations aussi discrètes qu’addictives, ancrée dans les eaux calmes de l’insuccès médiatique, mais que précède la rumeur d’une poignée de fidèles mis dans la confidence. Le groupe est formé de deux ex-Three Mile Pilot (Tobias Nathaniel et Pall Jenkins), épaulés par quelques amis : Mario Rubalcaba de Clikitat Ikatowi, Kazu Makino de Blonde Redhead ou encore Jason Crane de Rocket From The Crypt.

Sobrement intitulé Three (après One et… Two), l’album coupe l’air instantanément sans jamais en rajouter dans le pathos. On chercherait en vain le maillon faible de cet album : aucun morceau ne souffre de la comparaison des autres. En revanche, celui qui souffre rudement sur cet album, c’est celui qui l’écoute. Pour se faire une idée de cette crépusculaire dérive en apesanteur au rythme de marche funèbre, tendance Dave Fridmann, il vous suffit de convoquer quelques ingrédients (de choix). Mélangez le lamento du piano-cabaret de Nick Cave ou de Tom Waits (I know your ways, A heart like mine) à l’onirisme des orgues de Jason Lytle (Guess I’ll forget you), agrémentez les arpèges de la Gibson de Kurt Wagner (Never from this heart) d’une voix tantôt plaintive et haute tantôt granuleuse et grave, et enveloppez le tout d’un écho à vous foutre la trouille. La difficulté réside dans les proportions. C’est là que se trouve le talent des deux songwriters.

Côté paroles, les ordonnateurs de cette cérémonie païenne nous régalent aussi d’un bréviaire amer en forme de point d’interrogation. Là encore, on est à mille bornes des clichés indie : Pall Jenkins est juste et il fait mal. Rempli d’incertitudes (d’un « I always knew » inaugural, on passe très vite à un « I guess I knew »), rongé par le sentiment de perte et adressé à une hypothétique disparue, le soliloque est finalement interrompu sur On ships of gold par la voix infantile de Kazu Makino, filtrée par un téléphone : « I didn’t know » répète-t-elle à qui veut l’entendre. A l’autre bout du fil, on sait qu’il n’y a déjà plus personne.