Derrière ce curieux nom de Telefon Tel Aviv se cachent Joshua Eustis et Charles Cooper, deux musiciens de La Nouvelle-Orléans. Pour son premier album, Fahrenheit fair enough, le duo a composé une musique hybride du plus bel effet, au croisement de l’instrumentation organique et de l’electronica.

Bâties sur des sonorités cotonneuses et chaudes, secouées par une rythmique tordue entre Aphex Twin et Autechre, les neuf plages de l’album, telles des bulles à l’intérieur desquelles on se retranche naturellement, instillent une forme de bien-être. Par leurs ambiances profondément oniriques, presque régressives (pour peu, on dirait bien que « tout il est beau, vierge et innocent » chez TTA), elles révèlent ainsi leur proximité esthétique avec la musique de Boards of Canada. L’écoute répétée du superbe morceau éponyme rend tout simplement béat. Tandis que Introductory nomenclature, avec ses boucles répétitives et ascendantes, sur fond de nappes aquatiques et de claps dignes d’un bon vieux Warp, décrit un vortex de sons qui, sans coup férir, nous aspire dans son mouvement obsédant. Pour autant, de leur Louisiane natale, Eustis et Cooper ont également nourri un intérêt manifeste pour les post-rockeries de la Windy City (leur label Hefty, basé à Chicago, avait d’ailleurs signé le score de John McEntire pour Reach the rock). D’où des morceaux comme Lotus above water ou John Thomas on the inside is nothing but foam sur lesquels les motifs de basse et de guitare font planer l’esprit du TNT de Tortoise.

Aussi est-ce justement dans l’équilibre auquel il parvient entre sonorités organiques et électroniques que l’album se révèle particulièrement maîtrisé et ingénieux. Un parti-pris que l’on relève jusque dans la structure de chaque morceau, puisque la partie rythmique est toujours associée à une basse ondoyante, tandis que la partie mélodique (à base de piano, de nappes de claviers au grain velouté, de flûte aérienne, de boucles de guitares truffées d’écho) est régulièrement infestée de glitchs. La rythmique introduit un élément narratif et tient toujours le rôle d’enveloppe structurante, qui emprisonne les sons organiques volatiles. On s’en rend compte sur Your face reminds me of when I was old : le morceau, invertébré, met en présence des sonorités liquides qui se déversent lentement sur une surface. Une rythmique hésitante, tel un tuteur mal en point, donne un peu de rigueur à des boucles de guitares aériennes, les sons prennent consistance et la basse fait son apparition. Seulement alors, le morceau tient debout et peut avancer. Le plus bluffant reste que la douceur des sons utilisés permet toujours de fluidifier la musique de TTA : savamment construits, les morceaux se laissent pourtant écouter paisiblement.

Fahrenheit fair enough s’impose ainsi comme un album indéniablement réussi, avec une poignée d’instrumentaux imparables, chaleureux et calmes, qui diffusent un étrange sentiment de félicité. Sons et rythmes s’épanouissent par leur capacité à prendre possession de l’espace sonore qui leur est offert, conférant ainsi à chaque morceau des propriétés cinesthésiques. Des morceaux qu’on aimerait ne pas voir entre les mains d’un publicitaire dans le vent qui chercherait une musique cool pour nous vendre un parfum méga hype.