La rencontre du contrebassiste norvégien Arild Andersen, pilier historique du label munichois, et du trompettiste Markus Stockhausen, le fils de Karlheinz (qui l’emploie régulièrement dans ses ensembles), a eu lieu à l’occasion d’un voyage en Grèce en 96, où ils travaillèrent avec un groupe de six musiciens locaux. De cette collaboration hellénique naîtront deux trios : le premier réunit le bassiste, le batteur John Marshall et le pianiste Vassilis Tsabropoulos, récemment entendus sur disque (Achirana) ; le second rassemble Andersen, Stockhausen et le percussionniste français Patrice Héral, lesquels se sont rapidement adjoint les services d’un guitariste -l’Autrichien Martin Sievert d’abord, puis le Norvégien Terje Rypdal. D’une improvisation d’une heure et demie enregistrée en studio, le trio et son invité ont extrait sept passages destinés à procurer la matière thématique de ce disque. Karta (terme sanskrit choisi par Stockhausen pour signifier que le résultat final de cette réunion « les a tous surpris ») compte en outre quatre morceaux initialement écrits par le trompettiste et le bassiste. Si la liberté prime sur l’écriture, on reste toutefois loin de l’esthétique free qu’on pourrait imaginer résulter d’une telle création collective : le travail du groupe s’est bien davantage porté sur le traitement du son et l’organisation des textures, l’instrumentation électronique occupant dès lors une place importante.

La salle d’enregistrement ne s’est pour autant pas transformée en salon de démonstration high-tech, d’où une certaine maîtrise des horizons ouverts par ces accessoires -c’est là la force du projet. Andersen s’est servi d’un échantillonneur obsolète (le Paradis Loop Delay) pour modeler la sonorité de son instrument en bâtissant un système de strates sonores superposées ; Terje Rypdal n’a amené que les pédales et la chambre d’écho Roland (une antiquité) nécessaires à ce son cristallin spécifique ; Stockhausen et Héral ont cédé aux pédales wah-wah, à l’harmonizer et à un petit sampler permettant la restitution à l’envers d’un thème en direct. Sans surenchère technologique, les quatre musiciens décuplent leurs moyens dans une musique qui mêle étrangement la stimulation d’une réelle interaction, d’une véritable instantanéité dans la progression des harmonies et des rythmes, et l’aspect pensé, organisé, qu’impliquent le recours à l’électronique comme l’esthétique léchée qui en découle souvent. On est ainsi face à un disque séduisant mais inégal, dont le principal défaut reste l’ambiance cathédrale que provoque l’utilisation quasi systématique d’une réverbe typiquement ECM ; l’extraordinaire lyrisme des interventions de Terje Rypdal, la pertinence et l’originalité du jeu de Patrice Héral et l’incontestable réussite des compositions, entre jazz et musique contemporaine, convaincront toutefois ceux qui sont prêts à s’accommoder des excès atmosphériques d’une production trop lisse.

Enregistré en décembre 1999 à Oslo