Parmi les très nombreux admirateurs de l’écrivain Paul Auster, Stéphan Oliva n’est pas le moins inconditionnel : Coïncidences se présente comme un album-hommage dans lequel le pianiste français tente de « transposer en musique l’univers littéraire » du romancier américain afin de donner une « musique de livres », de la même manière qu’il existe des « musiques de films », autrement dit « la transformation en sons de quelque chose qui vient de la trace des mots ». Symboliquement, le piano n’entre en scène qu’après quelques cliquetis tirés d’une vieille machine à écrire (une Olympia mécanique du type de celle dont se sert l’écrivain), accompagnés par la contrebasse de Bruno Chevillon qui interprète le seul standard du disque, Smoke gets in your eyes (en évident clin d’oeil au film Smoke) ; symétriquement, on retrouvera cette construction à la fin de l’album, comme si la musique se présentait comme prisonnière de la littérature qui l’a inspirée. Entre les deux, Stéphan Oliva déploie une palette de couleurs musicales dominée par les gris et les blancs mélancoliques, les nuances se succédant au fil de ballades souvent envoûtantes, toutes directement rattachées à une scène, un dialogue ou un livre d’Auster. L’Invention de la solitude, Le Voyage d’Anna Blume, La Nuit de l’oracle : les lecteurs fidèles du romancier américain découvriront, non sans surprise parfois, l’interprétation musicale que Stéphan Oliva propose de l’atmosphère et de la tonalité de ses livres ; sur des formats souvent très courts, comme de fugaces vignettes évocatrices (Le Petite suite, hommage à la « trilogie new-yorkaise », se ramasse sur moins de deux minutes, et presque aucun morceau de dépasse les cinq minutes). Un bref passage au piano électrique, soutenu par la contrebasse de Chevillon, fait office d’ouverture sonore au cœur d’un paysage qui cultive l’intimisme, la répétition, parfois l’étrangeté ou l’angoisse. Les accords entêtants et inquiets de La Traversée, joué en introduction puis repris en conclusion, résonnent longtemps après que le disque s’est achevé et condensent en quatre minutes la substance mélancolique et sombre de ce très bel album qui, par la sensibilité littéraire et la cohérence du projet artistique dont il est le résultat autant que par la splendeur distante et puissante de l’interprétation, s’impose comme un incontournable pour tous les amoureux du piano.