Dans la droite ligne d’une première compilation sortie en 1998 sous le nom Black whole style, le label Big Dada, extension hip-hop du protéiforme Ninja Tune des Coldcut et autres Amon Tobin, vient se poser dans nos bacs avec un sourire narquois, un patchwork de ses artistes les plus acides. Sound01, puisque c’est ainsi qu’il convient de nommer la chose, résume en l’espace de 14 titres la conception si particulière du hip-hop telle qu’on la vit chez Big Dada : un son délié de ses ambitions commerciales, de ces dents affûtées qui raclent les parquets, et plus que tout, des sursauts puritains qui animent généralement les auditeurs à œillères cloisonnés dans un style. Car, sans qu’il soit cependant possible de réunir sous une même bannière tous les artistes présents ici, le son Big Dada est un hip-hop d’un genre nouveau qui, entre les intonations psychotiques d’un Mike Ladd, les assauts ragga-furieux de New Flesh ou les collages futuristes de cLOUDDEAD saupoudrés d’un chant grégorien frappé du sceau binaire, se plaît à déchirer les étroits couloirs dans lesquels la presse cherche à tout prix à le ranger, et la FNAC à le classer. Le sourire narquois évoqué plus haut est donc posé ici à l’attention de tous les fans de seconde zone qui ne jurent que par l’attitude et la prétendue authenticité, ou plus précisément, comme le confirme la joyeuse note d’intention, « à tous ceux qui cherchent à rétrécir la musique pour la faire entrer dans leurs cerveaux propres et bien rangés ».

Psychédélique, rigolard, expérimental, volontairement schizophrène ou simplement bête et méchant, ces Ty, cLOUDDEAD et autres Infesticons du même acabit n’ont de cesse de décoller et déchirer les étiquettes en vigueur dans les textes comme dans le choix des sons, entre synthés acides à crever les baffles, basses en forme de rots électroniques et dictions iconoclastes. Mais à la différence de Black whole style, qui exposait au grand jour un attirail de sonorités capricieuses et changeantes distillées par des artistes alors peu connus du public, Sound01 compile des titres aujourd’hui largement reconnus, au premier rang desquels le superbe Nonsense tiré du récent album de Ty, le futuriste Monkey theme des Infesticons imbibé des invectives d’un Saul Williams en colère ou encore Godly food de Gamma, issu de l’album Permanent. A cela, on ajoutera un inédit de poids qui voit Mike Ladd des Infesticons copuler joyeusement avec Juice Aleem au cœur des studios Xen.

Mais face à ce choix pourtant judicieux de titres, j’entends déjà les oreilles chastes crier au scandale, voire au foutage de gueule. Car c’est vrai, pour qui est habitué aux productions carrées imposées par les formats de l’industrie, Sound01 a une fâcheuse tendance à partir dans tous les sens, à former tout au plus un patchwork multiforme, un projet a priori ni suivi ni abouti. Mais c’est justement là ce qui fait la richesse de l’idée Big Dada, ce rien-du-tout-qui-s’en-fout, ce dadaïsme désinvolte qui se permet de produire juste parce que le son est bon, sans s’attarder sur les détails conventionnels. Définitivement branlant et inclassable, l’édifice Big Dada est un hymne au hip-hop, une alternative qui pourtant ne prétend pas l’être et ne revendique rien. Qui est alternatif dans son essence, par le simple fait de son existence. Du hip-hop juste. Juste du hip-hop.