Après le départ de Jim O’Rourke (parti faire du cinéma), Rather ripped pourrait bien être l’album pop parfait que Sonic Youth a toujours rêvé de faire. De factures classiques couplets-refrains, mais avec la sophistication (ces entrelacs de lignes mélodiques saturées) de 25 années de recherches soniques, les 12 titres de l’album sonnent ramassés et essentiels, alternant coton (Rapture) et scie électrique (Sleeping around), avec retour du riff à papa et moins d’architectures baroques (sauf Pink steam, presque instrumental, cathédrale qui monte), rappelant l’évidence frontale de Goo ou Dirty. Ainsi Incinerate emprunterait certains riffs à Teenage riot et l’ensemble dépareille quelque peu la récente discographie du groupe, A Thousand leaves, NYC ghosts and flowers, Murray street, Sonic nurse, qui égaraient un peu le groupe (la faute à Jim O’Rourke ?) dans l’expérimentation stratifiée, les empilements de guitares et le feedback, quand le groupe ne sortait pas carrément un album de musique contemporaine revisitée (Goodbye 20th century). Et même si ce n’étaient pas de mauvais albums (qui serait capable d’en pondre de pareils ?), on apprécie le retour du groupe à la spontanéité pop des 90’s, à l’accroche directe et le riff qui tue. De fait, dans ce jeu de relative simplicité formelle (Sonic Youth est toujours un groupe extrêmement sophistiqué), le quatuor enfonce tous les Arctic Monkeys de la planète et est bien le meilleur groupe de rock en activité aujourd’hui.

Sur Rather ripped (« Plutôt déchiré »), le sépulcral Rapture et l’incandescent Incinerate évoquent foi et consomption (le terme « rapture« , « enlèvement », relevant d’une mystique chrétienne apocalyptique très en vogue aux Etats-Unis fondamentalistes). De même que Turquoise boy peut-être -le turquoise, couleur de Marie ?- , renvoyant bushismes évangélistes et vraie spiritualité dos à dos. Lee Ranaldo fait son Rats réglementaire, avec basse no-wave impec, mais c’est Thurston Moore qui est le plus inspiré : sur le single Incinerate ou le parfait finale, tribal, 70’s, folk psyché, Or. Combinant classicisme formel et le style unique et inhérent à 25 ans de carrière, Sonic Youth fait aujourd’hui le parfait cross-over entre expérimentations et tentation mainstream, ayant créé une identité musicale immédiatement reconnaissable, devenant archétype culturel au même titre que les Beatles ou les Stones à leur époque.

Wilfried Paris