Loin des gimmicks auxquels succombent souvent les musiques électroniques (clicks & cuts, glitchs, etc.), il est une approche de l’electronica qui, pour sembler austère, n’en reste pas moins féconde et stable : le minimalisme. Le minimalisme électronique, qui s’inspire de son aîné américain (Conrad, Riley, Reich…), en reprend l’esprit et pousse la lettre à son extrême : d’un « minimalisme musical », la musique créée par ordinateur permet de passer au stade du « minimalisme physique », où le silence digital et absolu s’intègre comme élément compositionnel (la distinction est établie par Richard Chartier, Wire n°218). Trans-stylistique, le minimalisme est affaire d’approche musicale. C’est la raison pour laquelle il semble soustrait aux effets de mode et donc pérenne. N’empêche qu’entre les mains de platinistes ou d’artistes laptop, il n’échappe pas à la règle qui veut qu’en musique électronique, les genres s’ébattent entre eux et engendrent invariablement des infra-genres. Car tout distingue les infrasons de Chartier des sine waves à plat de Ryoji Ikeda, les drones de Bernhard Günter et de Steve Roden. Avec Tender love et Balance, le label francfortois Mille Plateaux offre l’occasion d’écouter une variété parmi d’autres du minimalisme électronique : le clickhouse (une étiquette de plus !). Soit des boucles de sons (réduits le plus souvent à de simples signaux) couplées à des rythmiques squelettiques visant davantage la beauté du son que le mouvement des corps.

Derrière ces deux albums se cachent quatre activistes fondateurs de label de musique électronique. D’un côté, Mark Fell et Mat Steel, aka Snd, duo et label du même nom de Sheffield, qui avec Tender love, réalise sa troisième signature sur Mille Plateaux depuis le remarqué Makesnd cassette (1999). De l’autre, l’Allemand Frank Bretschneider (aka Komet et Produkt, cofondateur de Rastermusic, devenu en 1999 Raster-Noton) et le New-yorkais Taylor Deupree (créateur du label 12k puis de la division Line avec Richard Chartier). Après avoir flirté sur diverses compilations, les deux musiciens concrétisent avec Balance leur première véritable collaboration.

Plus mélodieux que ses prédécesseurs, Tender love fait le grand écart entre différents mondes : le 2step des boîtes londoniennes (Fell et Steel sont Djs), l’abstraction du sound art qui fait la joie des galeries d’art contemporain (dans lesquelles Snd vient parfois jouer), sans oublier un clin d’oeil au R&B dit « de qualité ». Le résultat est un album chaleureux, presque funky, mais bien moins captivant que le Bretschneider/Deupree. Explicite dans son titre, Balance a en effet été composé par échange d’emails et se veut donc une synthèse de l’univers musical des deux artistes. Comme un work-in-progress de 45 minutes, l’album empile à la manière d’un jeu de Lego itérations mélodiques et beats chirurgicaux. Centré sur les moyennes fréquences, Balance s’autorise parfois des incursions dans les infrabasses (Freeze frame) et impose un traitement plus sévère aux beats (Dug in), se rapprochant alors de l’ascèse sonore de Cyclo. Par la déconstruction méthodique des sons et des rythmes qu’il fait se confronter, l’opus crée un état d’équilibre instable, suscite une écoute attentive et provoque ainsi une tension permanente, absente de chez Snd, qui au final rend Balance totalement addictif.

En dépit de leurs références aux temples des bpm, Snd, Bretschneider et Deupree poursuivent donc leur exploration du « son pour le son », esquissant les contours d’une lounge music du siècle nouveau. Etonnant et pas forcément dansable….