« Je ne pourrais croire qu’en un dieu qui saurait danser », écrivait Nietzsche, comme pour annoncer Bob Marley. Le prophète rasta projetait en concert une aura qui dépassait de loin le cadre musical. Ceux qui ont eu la chance de voir Sinéad O’Connor durant la tournée Gospel oak de 1997 auront pu constater la foi palpable qui l’entourait elle aussi, et la faisait flotter au-dessus du sol. Radieuse, servie par les chœurs féminins des Screaming Orphans (ses I-Threes), elle rappelait son apparition en vierge Marie dans le film Butcher boy.

Sur son nouvel album Faith & courage, l’Irlandaise, dont on connaissait le penchant pour le rap, affirme son adhésion à la vision de celui dont elle a parfois repris la Redemption song. Paix universelle, sérénité intérieure et Jah sont donc au programme, la fureur qui habitait encore certains morceaux de Universal mother (1994) ayant disparu. Des pardons à son père (Daddy I’m fine) ou au public (« I know that I have done many things to give you reasons not to listen to me » sur The Lamb’s book of life, morceau 100 % reggae) côtoient ainsi en rythme de nombreux chants d’amour et de réconfort. Ca donne en ouverture l’hymne Healing room, produit par Adrian Sherwood, sur lequel sa voix fragile se démultiplie pour écarter les nuages. Si ce titre ne vous donne pas la chair de poule, cet album n’est pas pour vous.

Hold back the night, If you ever, Emma’s song (produit par Eno) sont d’autres moments grandioses, hélas entachés par le voisinage de quelques horreurs. En effet, au milieu de fiables collaborateurs habituels (Jah Wobble, John Reynolds, Sherwood) et de Dave Stewart (ex-Eurythmics, ami des All Saints) qui réalise plusieurs bons titres, se sont glissés quelques suppôts de Babylon : Scott Cutler et Anne Preven (auteurs du Torn de Natalie Imbruglia) signent le lassant No man’s woman et The State I’m in avec une plume trempée dans du béton armé Bouygues, tandis que Wyclef Jean (Fugees), paraît-il un disciple de Bob, commet avec Dancing lessons un sommet de mièvrerie dont la boucle de piano sonne comme du mauvais Bruce Hornsby.

L’album s’achève sur le fascinant collage Kyrié Eléison. Scansion inspirée de Sinéad, flûte irlandaise et incantations rasta signées Ghetto Priest (« Jah praise the Almighty ») y donnent l’impression d’entrer dans son cerveau de Mère Teresa groovy et confirment la singularité de sa vision. On se demande donc pourquoi elle court maintenant les producteurs, elle qui avait produit son premier album en 87. Peut-être cherche-t-elle l’âme sœur musicale qui la stimulerait sur la durée d’un LP ? Qu’elle trouve vite, car si ce disque était plus homogène, il serait peut-être son meilleur.