Entrer dans un disque de Sigur Rós, c’est se retrouver dans un endroit dont on a rêvé auparavant. On en connaît déjà le relief, les teintes… mais se voir confirmer un heureux pressentiment est toujours un cadeau. Ce troisième disque du quatuor islandais, le premier enregistré dans leur studio-piscine d’Alafoss (banlieue de Reykjavik), est sans titre et sans titres de morceaux, prolongement d’une œuvre qu’on a du mal à dater -mais n’est-ce pas là la beauté du geste ?

Le disque s’ouvre d’abord sur l’impression d’une Atmosphere de Ceremony, une sorte de chant religieux crépusculaire, une liturgie qui monte en puissance, menée de voix de maître par Jonsi Thor Birgisson. La musique de Sigur Rós ressemble parfois à du rock wagnérien chanté par des Elfes, paradoxalement situé entre le trop-plein émotif de guitares au lyrisme parfois pesant et une simplicité légère, enfantine. Cette légèreté, cette naïveté, se tient dans la ritournelle obsessionnelle d’un chant haut perché, d’une voix qui fait figure d’instrument à part entière, psalmodiant des sons insensés, en une langue appelée le « hopelandic », dont les vocables avouent n’avoir aucune signification. On se rappelle alors qu’on n’a jamais cherché à comprendre ce que racontaient les quelques disques qui marquent une vie -les histoires de Victorialand restent ainsi une énigme à jamais. Surtout ne pas savoir ce qui se cache derrière ce chant d’ange céleste pour ne pas être déçu ; ne pas chercher trop de sens là où il y a sentiments. Plutôt se laisser bercer par ce climat familier de montée en beauté, rythmé parfois par un motif répétitif qui lance la mélodie, s’y installe, la laisse vivre puis partir pour ne redevenir qu’un.

A l’instar de leurs cousins québécois de Godspeed You Black Emperor ! les Islandais pratiquent les extrêmes variations d’intensités, les progressions et les dilutions du temps et de l’espace, mettant de l’écho partout, faisant gronder les guitares, battre les tambours, avant des apaisements éphémères, ou infinis. Sigur Rós pratique comme personne le cheminement musical, emmenant ses auditeurs comme par la main, sereinement. Les Islandais continuent d’avancer et de nous montrer un chemin où on les suivra volontiers toujours. Un bonheur retrouvé pour les connaisseurs et pour les novices.

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