Lorsque déboulait sur nos ondes un certain Svefn-G-Englar, dans le froid de décembre 1999, une évidence s’imposait : ce morceau chamboulerait in extremis mon classement annuel « nick hornbien » catégorie EP. Jim O’Rourke et Mogwai étaient alors déchus de mon panthéon, tandis que Sigur Rós s’imposait sur la foi d’un single osmotique, ébouriffant et rassérénant. C’est ce même morceau qui ouvre Agaetis byrjun, le premier album du groupe distribué en France à ce jour, mais le second déjà pour le quatuor islandais.

Cette musique, qui s’éprend de grands espaces vierges comme d’autres s’accomplissent dans le silence, sait prendre son temps pour créer des paysages éteints et désolés, après la tempête. Des paysages tels que l’on se figure les glaciers lunaires islandais déjà entrevus sur la vidéo de Jóga de Björk : entrailles glacées, plaines éventrées, cratères fumants, cimes immaculées. En traduisant ces images puissantes en vibrations sonores, Sigur Rós parvient à produire une musique pleine et ample, qui vous happe littéralement et vous propulse en son cœur, comme à l’écoute de Flugufrelsarinn, où la voix fragile de Jónsi Birgisson nous ramène à notre modeste condition devant l’incommensurabilité des paysages (sonores) qui nous envahissent. Ainsi, Sigur Rós parvient à résoudre cette antinomie : même chantée dans une langue incompréhensible pour beaucoup (l’islandais), d’une voix androgyne et cristalline, entretenant avec nous un sentiment d’étrangeté, leur musique émeut par l’universalité de son langage, celui de la nature.

Sur scène notamment -où les violons, cuivres et chœurs qui hantent l’album s’effacent pour ne laisser place qu’à quatre bonshommes rendus à leur clavier, basse, guitares, batterie-, on est saisi par leur maîtrise des nuances infinitésimales, leur manière de s’approprier un espace sonore, d’en définir les contours puis de le visiter paisiblement (l’instrumental Avalon laisse pantois). Plutôt que de peindre le déchaînement des éléments, ils préfèrent la confection minutieuse d’ambiances apaisantes, balayées de temps à autre par une lame de fond (la pression de l’archer sur les cordes de la guitare augmente alors sensiblement : sublime illustration sur Svefn-G-Englar).

On attend avec impatience la réponse des Godspeed you Black Emperor !, ces autres musiciens des froides latitudes fâchés avec les petits formats, capables d’épandre leurs humeurs de manière aussi fascinante.