Pierre Amoyal, Frederic Chiu dans Prokofiev : drôle d’endroit pour une rencontre. L’aîné, Pierre Amoyal est un violoniste très médiatique, virtuose exemplaire, parfois agaçant. Pour les amateurs de faits divers, c’est le musicien dont le violon fut volé en Italie. Attention, événement très Figaro Magazine, en décor naturel. D’abord, le violon n’est pas n’importe quel violon, c’est un Stradivarius, et le voleur n’est pas n’importe quel voleur, c’est la mafia. Le petit objet fragile fabriqué à Crémone en 1707 valait (bien entendu) dix fois plus que la Ferrari dans laquelle il a été dérobé. Accusé d’avoir monté lui-même le coup pour se faire de la pub, Amoyal a beaucoup souffert de la petite histoire (qui ne finit pas mal car l’instrument fut retrouvé, un miracolo). Et si c’était Jacques Pradel qui avait fait le coup ?
L’ancien élève de Heifetz mérite cependant mieux que ces fait divers. Il peut, lorsqu’il ne cachetonne pas avec n’importe qui, être redoutablement brillant. Il a joué avec les plus grands chefs, et a rendu de fiers services à ses élèves au conservatoire.
Frédéric Chiu est un des pianistes les plus attachants de sa génération. Refusant le petit jeu des concours internationaux, alors qu’il a une mémoire phénoménale et une technique inouïe (à écouter son premier CD consacré aux transcriptions chez Harmonia Mundi), il cultive un jeu totalement personnel. Formé à la Julliard School de New York, puis à l’Ecole Normale à Paris, ses choix sont radicaux et il défend en intellectuel ses positions artistiques. C’est grâce à Marian Ribicki, son dernier professeur, qu’il vit en France.
A l’écoute de cette heure de musique, Chiu semble l’emporter : jeu souple, infiniment varié, émouvant, constamment attentif ; il démontre aisément que Prokofiev était avant tout un pianiste.
La première sonate opus 80 présentée ici est d’ailleurs une transcription d’une pièce pour flûte, et c’est grâce à David Oïstrakh, ami du compositeur, que cette œuvre existe. Oïstrakh, avec Richter, en donna d’ailleurs l’enregistrement le plus abouti. A découvrir d’urgence. Cette œuvre est le parfait exemple de l’esthétique de Prokofiev : équilibre entre cruauté, violence et forme classique.
La deuxième sonate opus 94 est un crépuscule composé à la toute fin de la vie du compositeur. Musique lugubre, oppressante, glaciale. Comme son enterrement en plein hiver moscovite, à quelques heures de celui d’un certain Joseph Staline. Question pub, Prokofiev lui non plus n’a pas eu de chance.