Saluons d’ores et déjà le travail de réédition et de repiquage des 78 tours effectué par Sony. Rarement on aura tant apprécié la qualité sonore et la présentation d’un disque, nous restituant avec fidélité les photos des pochettes de vinyles originaux. Il en est de même pour les 4 autres disques de cette collection dont chacun mériterait sa chronique. Si Lauritz Melchior avait déjà été abondamment réédité un peu partout, avec bonheur parfois, avec mépris d’autres fois, Helen Traubel n’avait encore jamais vraiment connu les grâces du compact.
Faisons donc un petit peu d’histoire du chant wagnérien pour remettre les choses à leur place. Lauritz Melchior fut le plus grand ténor wagnérien de la première moitié de ce siècle. Pour certains, cela est une évidence ; pour d’autres, il était bon de le rappeler. Melchior a été le plus complet des ténors wagnériens, capable de la plus grande virtuosité comme de la plus grande poésie et douceur. Véritable colosse sur scène (quelques photos où il est en costume valent le détour ; ne parlons même pas de la pochette, véritable objet kitsch), Melchior a marqué à peu près tous les rôles wagnériens et en particulier celui de Tristan -et à l’exception peut-être de celui de Lohengrin ; écoutez ainsi la mort de Tristan, pleine d’une poésie, d’un style irréprochable. Certes Melchior n’est plus au sommet de ses moyens, mais on n’est pas si sûr d’entendre encore quelque chose comme cela sur une scène maintenant. La plupart de ces enregistrements proviennent de concerts à New York pendant la guerre. Car aussi surprenant que cela puisse paraître, on continua à chanter tout au long de la guerre 39-45. Il est vrai qu’il aurait été dommage de se priver d’entendre Melchior.

Comment Traubel est-elle arrivée sur tout cela ? Kirsten Flagstad, la divine à la voix d’or et partenaire de Melchior, est partie en 1941 rejoindre son mari en Norvège occupée. Il a fallu la remplacer et Traubel se présenta. Un peu oubliée maintenant, méprisée par quelques wagnérophiles attardés, Traubel n’est pas simplement une pâle réplique de Flagstad. Elle est différente. Bien sûr, on peut préférer Flagstad, tellement belle, mais n’oublions pas que Traubel possède un timbre noble, un phrasé unique, une voix gigantesque. Elle fait une Elsa parfaite, envoûtante, qui aurait beaucoup à redire aujourd’hui tant il semble que peu osent s’investir entièrement dans Wagner ; il est mal vu de ne pouvoir chanter que Wagner de nos jours ! De même, la mort d’Isolde constitue un moment de musique inoubliable. Disons aussi que les extraits orchestraux sont servis par un maître disparu, Artur Rodzinski.

Mais mentionnons surtout la présence d’autres chanteurs, jeunes ou confirmés, sur ce disque. D’Astrid Varnay à Kurt Baum et Herta Glaz en passant par Torsten Ralf et Herbert Jannsen, c’est l’occasion d’entendre des interprètes qui sont un peu restés dans l’ombre de leurs tuteurs et qui possèdent une rage au ventre indestructible. Juste une précision de taille, Traubel et Melchior ne chantent pas une seule fois ensemble sur ce disque, contrairement à ce que pourrait laisser supposer la pochette. Dommage, ce sera pour une autre fois peut-être.