Il ne s’agit pas réellement d’une chronique de disque. Plutôt d’une reconnaissance de dette. Au début des années 90, à l’heure des premiers raffuts de Rage Against The Machine, j’avais endossé ma panoplie de père-la-morale et hurlé à l’arnaque. Rage accumulait les tares, selon le jeune scribouillard : rap lourd dénué de groove, parodie des Beastie Boys à la voix, quincaillerie révolutionnaire avec le Che bradé en T-shirt et, pire que tout, un groupe de techniciens, de « musicos-qui-touchent », véritable tue l’amour rock’n’roll. Jolie analyse, pas sotte du tout. Mais, à chaque fois que l’on se construit un beau boomerang théorique, il faut s’attendre à le prendre, tôt ou tard, dans la gueule. C’est chose faite avec cet album de reprises qui, si les rumeurs se confirment, sera le dernier avec Zack De La Rocha au chant.

Tout bien réfléchi (en secouant brutalement la tête bien sûr), Rage est un groupe immense, malgré tous les défauts sus-cités. Ces types possèdent un sens du groove unique. Ils ont sorti un certain public hardcore de l’impasse en prouvant qu’un morceau lent s’avère mille fois plus puissant qu’une niaiserie envoyée à 100 à l’heure. Rage combine (en trio s’il vous plaît, le noble art du rock) une certaine frime rap avec les meilleures rythmiques du rock’n’roll. Et ce disque, rassemblant les classiques de Cypress Hill ou d’Afrika Bambaata, ceux de Dylan ou des Stones, résume parfaitement les racines de la Rage. Désormais, tout est plus clair : Rage Against The Machine plane bien au-dessus du bourbier funk-fusion. Il fallait en tenir une sacrée couche pour ne voir en Zack De La Rocha qu’une pale copie des Beastie Boys. Ce shouter a du style, un abattage inégalable. Comment résister à son « allright » sur la reprise de Kick out the jam ou son attaque parfaite sur Microphone fiend ? Il sonne à la fois cool et menaçant. Comme un type tranquillement assis sur un banc, prenant le soleil avant de braquer une banque. « Don’t need a cigarette, you know what i mean ? » Sacré Zack, Rob Tyner d’un monde endormi. Qu’y peut-il si les rebelles du premier rang se lèvent le lendemain pour discuter stock-options ? Il préfère jeter l’éponge.

On ne sait, pour l’heure, ce que compte faire Tom Morello. Mais, là encore, le bilan du guitariste au sein de Rage s’avère réellement impressionnant. Musicien doué, érudit sans doute au courant de toutes les ficelles techniques, Tom Morello a toujours évité l’écueil du technicien astiqueur de manche, de la vulgarité hard. Riffeur malin et efficace (sublime sur Ghost of Tom Joad de Springsteen), il s’est efforcé, depuis les débuts du groupe, d’écrire des solos déroutants, gorgés de wah-wah et d’autres effets savamment dosés. Si John Frusciante des Red Hot peut passer pour une sorte de Tom Verlaine 90’s, Tom Morello endosse sans problème l’habit d’un Robert Fripp ou d’un Adrian Belew. Sa relecture de Street fighting man des Stones, tout en sirènes hurlantes et rythmiques funky, son solo en spirale sur Maggie’s farm de Bob Dylan comptent parmi les plus excitantes parties de guitares heavy entendues depuis dix ans. Rage Against The Machine première mouture restera comme un groupe définitivement fantastique, impitoyable, groovy, excitant, violent, funky, puissant… Renegades est la tempête de cette fin d’année. Voilà, c’est écrit. Qui paie ses dettes s’enrichit…