Deux jolis albums viennent de sortir sur l’intrigant label Telescopic. Deux jolis albums en un mois, ce n’est pas donné à tous les labels (surtout qu’un troisième, de Under Byen, est à venir). Il faut le souligner, par les temps qui courent. L’Américaine Eleni Mandell n’en est pas à son coup d’essai (Afternoon est son cinquième album) ; Prudence gère prudemment sa carrière (deux albums en cinq ans) ; ces deux disques n’ont pas grand-chose à voir, sinon qu’ils sortent sur un même label, qui semble donc avoir bon goût.

Prudence, d’abord, groupe français à géométrie variable monté autour de Joris Clerté (et bénéficiant ici de talentueux invités : Mocke et Armelle Pioline de Holden, Olivier Libaux…), délivre avec Mumsmums un petit bijou de pop délicate, qui nous rassure sur les envies d’harmonies et de beauté des musiciens d’ici et aujourd’hui. Avec ses vignettes ludiques et finement ouvragées, entre Etienne Charry simple, Ennio Morricone cheap et Pascal Comelade gai, ce deuxième album relève le défi d’une production française de qualité, qui ne se chante pas forcément. Pas très loin des vignettes instrumentales des Beach Boys, les 14 titres de Mumsmums se déclinent avec ou sans voix, toujours pour le meilleur du son et de sa répartition dans l’espace. Coloré, colorié et dessiné précautionneusement, A tort ou à raison par exemple est une belle réciprocité entre musique graphique et images musicales (chanté par Armelle Pioline et clippé par Joris). On regrettera juste parfois les inserts électroniques, moins jolis que les jouets d’enfants, dans ce foisonnement harmonieux de textures lumineuses. Quand il s’épanouit et laisse au silence ses intervalles, ce disque fait du bien aux oreilles.

De l’autre côté de l’océan Atlantique, voire même à l’autre bout de l’Amérique (Los Angeles), Eleni Mandell chante des histoires d’amours déçus et d’American boyfriend. En concert, elle dédicace cette chanson à « celui qui retirera George Bush de la Maison Blanche ». Elle s’en explique « Je voulais pouvoir utiliser le mot « américain » hors de toute réappropriation politique, en lui donnant une connotation différente de celle employée par Bush et les politiciens. C’est une chanson d’amour, qui me fait du bien aussi quand je suis en tournée à l’étranger. » De fait la culture d’Eleni Mandell est profondément américaine : folk, blues ou country (elle a fait un album de country, Country for true lovers, en hommage au genre – « Hank Williams est le plus grand songwriter américain »), elle n’en a pas moins commencé la musique pour suivre les traces de son groupe préféré, les punks X de Los Angeles. Aujourd’hui, ses influences vont de Tom Waits à Billie Holliday en passant par la musique de cabaret de Kurt Weill. Ses chansons, soutenues par une section rythmique carrée et un dialogue constant entre sa voix et les guitares lead de Joshua Grange (producteur et slide-guitarist de l’album) sont tristement passionnées. Ses histoires de femme blessée doivent agacer les féministes (« Mes chansons sont d’abord inspirées par les relations entre les gens. Qu’y a-t-il d’autre dans la vie que le sexe, l’amour et la mort ? »), mais sa façon d’imposer sa voix, sa personne et ses chansons, en font une artiste d’une élégance presque anachronique (« Je n’écoute rien de récent, je n’achète pas la presse musicale. Je n’écoute pratiquement que des vieux disques 78tours »). Pas désuète pour autant, Eleni Mandell est simplement une chanteuse et song-writer dans la meilleure tradition du genre, trop ignorée par chez nous.