Prostitutes : aucune allusion ici aux demi-mondaines confinées dans des boudoirs Belle Epoque ni à d’autres gagneuses apollonides. Pour Petit Cochon (quel titre !), l’américain James Donadio convoque plutôt l’amertume torturée des professionnelles de William T. Vollmann et rappelle, dans un registre musical pas très éloigné du sien, l’album angoissé d’un Ron Morelli (« Spit ») planté sur le boulevard. Ce sera donc moiré, texturé, piqué, très noir.

Du côté de l’horreur et de la misère humaine. L’arte povera de James Donadio est bel et bien pauvre, voire miséreux. Econome de ses moyens, la musique de Prostitutes possède un sens de l’épure qui tend vers le morbide. Un minimalisme qui évoque plus la disparition, la putréfaction et l’obsolescence programmée que le zen d’un mantra less is more.

On imagine ce Petit Cochon fier comme un coq juché sur une pile de samples issus de disques encore plus sales que lui. Un cycle en spirale que l’artwork illustre à merveille : abîme sans fond en forme de système digestif dentelé, prêt à assimiler des monceaux de cassettes emplies de fragments de batteries poussiéreuses et d’historiettes dance music choisies côté face B.

Avec quelques autres de ses amis et followers (citons notamment Basic House avec lequel il a collaboré pour le fascinant Mirror & Gate Vol. I, ou encore le très doué Powell), Prostitutes fait partie de ces chantres d’un psychédélisme froid prêchant l’usage de la boucle ad nauseam. De la boucle justement, de cette figure de style archi récurrente, Prostitutes parvient à définir un nouveau territoire de malaise, à évoquer le bégaiement plutôt que la quête hédoniste de transe et d’hypnose. On écoute alors inquiet et contrit les martèlements post-industriels se répéter, ne sachant jamais s’il s’agit d’un disque à peine édité, lâché avec une indifférence autiste à la violence des sons enregistrés.

Toujours à côté : c’est le mouvement des souffles et des textures cachées, le jeu des frustrations répétées d’une musique faite de mutations déceptives, dénuée de moments paroxystiques, qui passionnent. Les tracks s’enchaînent sans s’individuer les uns des autres, ou s’interrompent brusquement, comme si l’on avait appuyé sur le bouton stop par erreur.

Après quelques albums et une poignée de maxis, on ne sait toujours pas pour quel petit maquereau roule James Donadio. On sait en revanche que Prostitutes constitue l’un de ces projets de « techno sans mojo qui ne se danse surtout pas » à la fois les plus rébarbatifs et les plus intrigants de ces temps féconds en questionnements hagards et à peine formulés ; la parfaite illustration d’une époque d’amour/haine pour une dance music maltraitée à en devenir définitivement afonctionnelle.