C’était l’été 1996, l’effusion de la drum’n’bass qu’on imaginait alors dessiner les contours d’un futur incertain. Et un blanc bec, en l’espace de quelques maxis savamment distribués sur les structures- élites de l’époque et sur son propre label éponyme s’était emparé des règles du jeu pour mieux les redéfinir. La hype avait été énorme, irréelle, et Rupert Parkes était devenu le maître incontesté, le moine guerrier, le sage scientifique d’une scène à laquelle il ne rendait finalement pas service, préférant égoïstement développer son art plutôt que d’aider à l’expansionnisme alors incontesté de cette scène jungle britannique. Modus operandi, premier album cerveau, entité autosuffisante, vit le jour, redessina les contours alors incertains d’une musique aux codes pourtant déjà hermétiques. En véritable cartographe du breakbeat, Photek imposait un style, une philosophie de travail et de l’éthique alors reconnaissable entre mille. Photek prônait l’abstraction, la sévérité du vide, l’exigence des samouraïs, sa musique travaillait les cavités sonores en d’ultra-complexes structures rythmiques tourbillonnantes comme autant de marches militaires lancées à l’encontre des facilités de la pop music et de la dance britannique. Aujourd’hui encore, alors qu’ils sont nombreux à ricaner en réécoutant les péchés de futurisme des acteurs alors vénérés de la scène breakbeat londonienne (Adam F, Alex Reece, Peshay ou même Goldie et Roni Size), les premiers disques de Photek, son génial album-concept en tête, demeurent visionnaires, irréprochables, en avance sur notre temps… et, chose incroyable en musique électronique (où l’effet des années est à multiplier par 7, comme chez les chats), Modus operandi n’a pas pris une ride.

Depuis, Parkes a fait éditer et rééditer Form&Function, sur lequel il compilait inédits précieux, nouveautés et remixes divers. L’effet de surprise passé, on sentait pointer le bémol. Et on sentait le maître dépassé -pas par ses collègues de scène, définitivement perdus dans les méandres de la facilité dark terroriste ou de la soul bubblegum, non, mais par son propre art, comme aspiré par ses propres effets de souffle ou par sa propre exigence. Photek avait alors deux choix : prendre son temps pour à nouveau maîtriser la bête à l’intérieur, ou tenter de lui échapper, en l’enfermant quelque part, en faisant un tour à 180° sur soi-même et en prenant des vacances quelque part au soleil. Solaris est le triste récit de ce renoncement, de cette trahison, de ce retour sur soi que le principal intéressé nous décrit en sus comme le journal intime de sa vie récente. Ce n’est pas que ce disque soit mauvais, pas vraiment, mais on aura beau chercher Photek dans les onze morceaux de ce disque aux relents de remous post-cataclysmiques, on n’en trouvera que quelques rares oripeaux. Breakbeats industriels et nappes vaguement réminiscentes des effets spatialisants de la musique du passé en ouverture, post-house linéaire façon Maurizio en papier peint pour samples de La Dolce Vita sur un hommage déplacé (et mal orthographié) au Glamorama de B.E. Ellis, deep garage façon Blaze et école du New Jersey chanté par Robert Owens, horreur ambient jungle façon Good Looking (travers que Parkes avait pourtant réussi à éviter à l’époque…) sur Can’t come down et Infinity… Ce disque est un fourre-tout indigne du Photek d’autrefois, parfois brillant, souvent transparent, qui ne semble avoir d’autre raison d’exister que le respect du contrat signé avec la major Sony. Triste, dur pour un homme qui possédait autrefois un modus operandi aussi effrontément précis et caractériel. Peut-être l’homme voulait se réinventer, faire table rase du passé. Malheureusement pour lui, ce dernier le rattrape, et sur ce disque, Photek n’est même plus l’ombre de lui-même.