« J’ai toujours été déterminée à garder l’étiquette jazz et m’assurer que chaque arrangement, quel que soit le thème, ait un certain niveau de sophistication mélodique, rythmique ou harmonique. Difficile de dire exactement ce qu’est le jazz de nos jours. Je suis prête à en discuter avec quiconque le souhaite », répondait récemment la pianiste Patricia Barber à Alain Le Roux du webzine Le Jazz. Et ça n’est certainement pas à l’écoute de Companion qu’on ira lui contester un statut qu’elle défend brillamment, tant ce live enregistré au Green Mill de Chicago, son club habituel, reste à la fois l’une de ses plus belles réussites et l’un des meilleurs disques entendus cette année.

Retraçons rapidement son itinéraire en revenant en 1989, lorsque cette fille d’une chanteuse de blues (et d’un père qui joignait son saxophone au big band de Glenn Miller lors de ses passages par Chicago) enregistre Split avant d’expérimenter la conception de la liberté musicale d’une major, Verve, laquelle lui impose, pour son second album (Distorsion of love), de changer de musiciens. C’est en signant pour le petit label Premonition Records, dirigé par Michael Friedman (en partenariat avec Blue Note), qu’elle retrouve ses compagnons habituels -Michael Arnopol à la basse et Mark Walker à la batterie, rejoints par le guitariste John McLean. Café blue, en 1994, mais surtout Modern cool, en 1998, lui offrent un véritable succès, que devrait entretenir ce nouvel album.

La voix est faussement nonchalante, délicieusement suave et sombre, avec une pointe permanente d’ironie voilée qui lui donne un charme irrésistible ; le jeu de piano est ferme, intense et précis, avec quelque chose d’imperceptiblement féminin. Au Steinway ou au B-3, accompagnée de musiciens irréprochables (Arnopol, McLean, Eric Montzka à la batterie et Ruben P. Alvarez aux percussions), elle crée des ambiances suspendues pleines de mystère, de tensions et de détentes, sans se départir de ce ton qui fascine et ensorcelle (d’autant plus que les textes de ses propres compositions sont d’une rare finesse : écoutez le génial Touch of trash), recourant à des couleurs instrumentales qui permettent autant le groove (jeux rythmiques et basse puissante) que l’incongruité (les solos parfois bizarres de McLean). Avec un Black magic woman noir à souhait s’achève une heure de rare envoûtement musical. La chanteuse de l’année, sans hésitation.