Beaux retours de flamme de deux petits emblèmes, deux coeurs solitaires de l’indie japonais, deux modèles -mine de rien- d’un bel essor de musiciennes solitaires qui chantent par-dessus le laptop (dernièrement, les copines Piana, Midori Hirano ou Nobuko Hori) et font fondre les nerds blanc-becs outre-mers, Hirono Nishiyama, alias Gutevolk, et Noriko Tujiko, reprennent la voix en solo après des bébés, des films, et du silence.

Toujours résidente à Bagnolet, récemment éparpillée dans pas mal de projets partagés (avec Riow Arai, Takamasa Aoki, Pita ou Lawrence English) et une carrière florissante de cinéaste (ça devrait bientôt faire jaser, sans aucun doute), ça faisait un petit bout de temps qu’on avait pu apprécier le songwriting de notes, bulles bruit et voix de la surdouée Noriko (plus précisément, le chaos merveilleux de Hard ni sasete, en 2002). Ce nouvel opus, laborieusement recueilli par la maison qui l’a révélée, Mego, ne s’appelle donc pas Solo pour rien, et c’est un petit bonheur de retrouver, presque inchangé, l’ambiant-pop presque dyslexique, funèbre et rose, curieusement distante de la dame, étalé en neuf tracks ambiguës et précieuses. Le sound-processing s’est un peu assagi, les inserts de bruit de rue, de nappes de sale bien enfouis dans les quadrilles de petits beats tranquilles, affables, mais l’essentiel du paradoxe, mystère, de la chansonnière est intact : on ne comprend toujours pas, d’une note tenue haute à la voix et à l’orgue midi à une descente de guitare floue, d’un étal de nappes liquide à un déluge de mots-dits, de ce qui fait tenir les chansons, ce qui les accroche au cortex, ce qui les fait rentrer dans le cœur. Pas une chanson ne se plante pourtant dans le quelconque qui pendait au nez de mélodies-rengaines qu’on connaît déjà toutes par coeur -on se love volontiers dans ces notes là comme Noriko semble s’y repaître, s’y épanouir comme dans une biosphère ambient. Très beau moment de spleen aplani en chansons-mystères, ce disque empilé toute seule atteint des sommets quand il fait accoucher un thème pop d’un mantra improbable (le pic Gift) ou lévite juste au-dessus du silence (Spot), et, sans surprise, de Tujiko depuis des lustres.

On avait pas entendu parler de Gutevolk, alias solo de Hirono Nishiyama, depuis plus longtemps encore : juste un mini six titres, Twinkle, est venu en 2005 briser le silence radio depuis le magnifique Humming of tiny people, paru sur le Daisyworld de Haruomi Hosono en 2002. Exploratrice de territoires solaires mais complexes, nettement moins gnangnans et fastoches que ceux de pas mal de ses collègues, Gutevolk a d’abord grandi dans l’ombre portée du génie de Kyoto, Nobukazu Takemura, publiant ses premiers essais pop dada, un peu jazz, un peu Morricone, un peu Reich, dans la jungle luxuriante mais un peu normative de son label Childisc, chantant à l’occasion sur son Songbook d’anthologie. A l’instar de la douce folle Aki Tsuyuko ou de l’insaisissable Miroque, Nishiyama a souvent laissé ses chansons électroniques curieuses, jazz tête à l’envers et petits buzz gracieux, dériver de descentes chromatiques solaires à la Pharoah Sanders jusqu’à la dissonance. Plus affable, ce nouvel opus co-produit et arrangé avec Kazumasa Hashimoto, pianiste et bel artisan ambiant clic clic, surprend d’abord par l’épaisseur de son son, conquérant et bien plus gras qu’à l’accoutumé. Nishiyama y chante souvent en anglais, aussi, les yeux pleins d’étoiles, et époussette les dissonances pour mieux parler pop. Le premier versant du disque, le très sucré et plutôt magique This moon following me, nourri aux Pastels en halte majeure, surprend donc d’abord par sa docilité, et sautera sûrement à la gorge des adeptes des gueules de travers, Hirono se permettant aussi quelques convenances gentle electronica, pleines de souffle de cassettes, de trombones fastoches et de voix d’enfants (Yuchijiro Fujimoto ou Takagi Masakatsu dans le rétro), à peine creusée de quelques détours harmoniques complexes dont elle a le secret. Mais la sève des chansons, infiniment concentrée, ne saurait se laisser diluer par du gros son et quelques détours upbeat : en gros, pour faire vite, la magie Gutevolk opère sans discontinuer, et s’épanouit autant en chansons ramassées (The door to everywhere, bêtement waouh) que dans les folies étirées surgies du passé (le dément Planetarium). Autre nouveauté, Hirono chante souvent d’une voix grave et pleine, stentor aux textures délicieuses, bas-mediums qui installent les chansons dans le creux de l’oreille, et assume enfin en plein un héritage qui habitait jusque là en secret dans chacune de ses chansons, celui de Moondog (Sing a ring, seed of sky). N’en déplaise aux vieux fans, donc, Tiny people singing over the rainbow est une renaissance remarquable, un disque-bonheur, un truc à la générosité infinie, et le meilleur disque de Gutevolk… depuis le précédent. Indispensable.