La techno subvertie par l’instrumentation classique, nouvelle tendance ? Après l’étonnant travail d’adaptation de la musique de Jeff Mills pour orchestre par Thomas Roussel voici quelques mois (à l’occasion du vingtième anniversaire du classement du Pont du Gard par l’Unesco, avec l’orchestre philharmonique de Montpellier, sous le titre Blue potential, chez UW-Axis / Discograph), c’est le jeune pianiste classique Francesco Tristano qui se lance dans une drôle d’aventure sur le label In Finé, toute jeune étiquette fondée par Agoria. En 2005, ce dernier avait découvert la reprise ludique par Tristano du Strings of life de Derrick May et, stupéfait, l’avait incluse dans son album Cute & Cult ; le partenariat se prolonge donc avec ce Not for piano dans lequel le virtuose, en dix plages, offre une mixture déconcertante, tentative de faire entrer tout l’attirail technologique d’un faiseur technoïde sous le capot d’un piano de concert et, inversement, de décupler les possibilités du piano pour en faire un instrument polymorphe capable de restituer la dynamique et la puissance de la techno. Le résultat est surprenant : outre ses propres compositions, parfois coécrites avec Rami Khalifé ou Raimundo Penaforte, Tristano s’attaque bille en tête à Mills (The Bells), Autechre (Andover) et, comme de juste, Derrick May (Strings of life, donc), transformant son piano en machine à séquences et à sons pour un résultat détonant. Au début, on est intrigué, fasciné, séduit ; les jeux sur les modules (emboîtés, séquencés, combinés, triturés) rappellent les manipulations minimalistes d’un Steve Reich (dont les accointances avec la musique électronique sont bien connues), le travail sur les harmoniques et la matière (notamment dans les graves) faisant parfois penser aux passages les plus expérimentaux de certaines morceaux solo de Jarrett. L’attention s’émousse parfois par la suite, la musique de Tristano devenant ici et là assommante au point qu’on est tenté de sauter des pistes. Reste que l’expérience tient en mémoire, et qu’on y revient volontiers : inégal mais efficace, pas toujours abouti (les ajouts électroniques sont parfois mal dosés, et donnent une tonalité artificielle à l’ensemble) mais suffisamment incongru pour marquer, Not for piano mérite le coup d’oreille des amateurs de curiosité et, pourquoi pas, des amateurs de piano solo. Ceux que l’expérience ne convainc pas pourront revenir sur des terrains mieux balisés en écoutant Tristano dans un tout autre contexte : il publie simultanément un disque consacré au compositeur classique Girolamo Frescobaldi.