La fin de l’année 2000 a été marquée par un tir de barrage de la part des poids lourds du hip-hop US, avec l’enchaînement successif des albums du Wu-Tang Clan, de Jaÿ-Z, d’Outkast, de Snoop Dogg, et enfin d’Xzibit. Face à ce pilonnage d’un assez haut niveau général pour le camp commercial, l’underground a eu quelque peine à assumer la position avancée qui est la sienne depuis quelques années : côté Est, Rawkus a alterné le très bon (l’album de Reflection Eternal) et le simplement acceptable (un Lyricist lounge II efficace mais sans imagination) ; côté Ouest, pour un ovni au-dessus du lot (le Deltron 3030 d’Automator), beaucoup des meilleures pointures de la scène ont déçu (ainsi Rasco et Planet Asia avec leur projet Cali Agents, pour ne citer qu’eux), démontrant que la bonne volonté et une sortie forcément confidentielle ne suffisent pas à faire la joie du B-Boy exigeant.

I need drugs, premier album de Necro, ne vient pas démentir ce constat en demi-teinte. Si toutefois vous parvenez à mettre la main dessus : en effet, comme tous ces disques à la diffusion plus que limitée (rappelez-vous le Sex style de Kool Keith, dont vous chérissiez l’unique exemplaire déniché un soir dans le bac K de votre disquaire habituel, après une traque de plusieurs mois), il faudra vous armer de persévérance pour en dénicher un exemplaire, en import évidemment (ou alors, il faudra le commander directement aux Etats-Unis, mais les puristes savent que, quelque part, c’est de la triche). Rassurez-vous cependant, vous ne pourrez guère le rater : avec sa pochette ultra cheap façon Punk 80’s, il tranche vraiment au milieu des pochettes digitalisées façon Master P qui dominent aujourd’hui le packaging hip-hop.

L’objet est de fait étrange : imaginez Eminem rescapé d’une escapade horrorcore avec les Flatlinerz ou les Gravediggaz de 1994, réincarné dans le corps d’un Beastie Boy, je veux dire d’un jeune blanc-bec juif de Brooklyn, sauf qu’il n’aurait pas viré bouddhiste, mais gothique. Necro, de fait, est assez fidèle à son pseudonyme funéraire : il développe tout le long de son album une fascination pour la mort, la putréfaction, l’avilissement par le sexe et par la drogue, s’aventurant sur des terres habituellement fréquentées par les émules de Trent Reznor ou de Marilyn Manson. I need drugs, décalque sous crack du I need love de LL Cool J, qui donne son titre à l’album, marche ainsi sur les traces du Junky de Burroughs, l’ironie post-MTV en plus. Et, de fait, avec ses hommages aux cafards (Cockroaches), aux putes (Hoe Blow) et à l’ultraviolence (Your fu**in’ head split), c’est un album qui semble sortir du NY de Taxi driver, du Manhattan d’avant que Rudy Giuliani ne chasse les sex-shops et les dealers de la 42e rue. Les notes de pochette nous signalent du reste que la vidéo de I need drugs a été tournée dans un crack hotel (et que, par ailleurs, Necro est également l’auteur de deux films, intitulés respectivement 187 reasonz Y et The Devil made me do it, qu’on est curieux de voir).

Que ce disque soit placé sous l’égide d’Ill Bill, qui le sort sur son label (le microscopique Psycho+Logical Records), n’est pas vraiment étonnant : seul ou avec son groupe, les scandaleusement sous-estimés Non-Phixion, il est familier des thématiques paranoïaques à la X-Files, classiques de l’imaginaire gothique (cf. leur maxi remarqué Black helicopters, l’année dernière), ou teintées d’ultraviolence décalée (son maxi solo Gangsta rap / How to kill a cop de 1999). Tout cela donne une production qui rappelle souvent les beats d’Automator et de Kutmasta Kurt pour l’album de Dr. Octagon, dont l’atmosphère n’est d’ailleurs pas si éloignée. Samples soul craquant dans la pénombre, loops agressifs (comme cette boucle de guitare remarquable d’efficacité sur Your fu**in’ head split), le tout immergé dans une ambiance lo-fi loin de la fluidité digitale des productions à la Dr. Dre, c’est un album d’une belle cohérence dans le n’importe quoi.

Les fans endurcis regretteront néanmoins de retrouver sur ce LP tous les titres des maxis de Necro qu’ils avaient déjà précieusement collectionnés, alors que les morceaux supplémentaires (dont trois freestyles radiophoniques néanmoins honorables) n’apportent pas grand-chose de plus au concept, dont on a perçu l’essentiel à la fin de la première face du premier disque. Si vous recherchez un successeur au Funcrusher plus de feu Company Flow, passez votre chemin. Si par contre vous voulez ouvrir une section « gags, drogue et nécrophilie » dans la partie « B-Boy blancs » de votre discothèque hip-hop, ce disque est pour vous. Et puis, combien de disques de hip-hop avez-vous qui remercient des homies prénommés Mordechai et Menachem ?